Tourisme : comment Mazagan a redressé la barre
Conçu pour attirer une clientèle étrangère aisée, le luxueux resort marocain s’est adapté à la crise en ciblant un public plus local… Une stratégie payante, mais qui n’est pas du goût des pouvoirs publics…
L’humoriste Hanane Fadili et les chanteurs Lhaj Moughit et Majid Al Mohandis : pour fêter ses cinq ans, en novembre, le Mazagan Beach & Golf Resort, situé dans la province d’El Jadida, a joué la carte locale. Des festivités éloignées du glamour international de la soirée d’ouverture, en 2009, où le promoteur du projet, le Sud-Africain Sol Kerzner, avait invité, dans une ambiance des mille et une nuits, 2000 personnes, dont une brochette de stars du show-biz comme le mannequin Naomi Campbell ou les acteurs Naomi Watts et Liev Schreiber…
Crise financière, Printemps arabe : pour traverser les difficultés, Mazagan s’est repositionné. Le resort, qui ciblait à l’origine une clientèle d’Européens fortunés et d’émirs du Golfe, table désormais sur une clientèle moins bling bling, plus familiale et essentiellement marocaine. Le meilleur moyen pour rentabiliser cet investissement de 3 milliards de dirhams (262 millions d’euros), dont l’objectif initial était de placer le site sur la carte des destinations mondiales du tourisme de luxe.
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« Nous avons fait le constat que le resort possédait les atouts nécessaires pour satisfaire les familles en terme de loisirs et de commodités et le repositionnement s’est imposé naturellement », confirme Stephan Killinger, président du Mazagan. Il ajoute : « Notre principal marché est le Maroc (42,4 % des clients), plus principalement les familles pour les vacances scolaires et les week-ends. À l’international, notre clientèle provient principalement de France (20 %), suivie du Royaume-Uni et de l’Allemagne. »
Coupes drastiques
Dès sa nomination à la tête du site de Solomon Kerzner en 2011, cet Allemand a revu de fond en comble le business model. « Il a commencé par couper drastiquement dans les effectifs, passant de 1 200 à 900 employés actuellement, avant de lancer en 2012 une nouvelle politique commerciale axée sur la clientèle locale et le tourisme d’affaires », signale un ancien cadre de la direction financière du resort.
À l’époque, les résultats du complexe touristique n’atteignent pas les prévisions initiales. « Le projet devait être rentable dès la première année, nous tablions sur un chiffre d’affaires de 1,3 milliard de dirhams. Mais cela n’a pas été le cas, seuls 900 millions de dirhams ont été réalisés, dont plus de la moitié provenait du casino, puisque l’hôtel affichait un taux d’occupation qui n’a jamais dépassé les 52 % », selon un ancien cadre du groupe.
Sans nous communiquer l’évolution des indicateurs d’activités du resort, le président assure néanmoins que cette page a été tournée, se félicitant du taux d’occupation actuel, qui dépasse selon lui les 70 %. Une prouesse au royaume chérifien, où le taux d’occupation moyen des établissements hôteliers ne dépasse guère les 45 %, selon les chiffres du ministère du Tourisme. En misant sur une clientèle moins fortunée mais plus régulière, Stephan Killinger a réussi à renverser la vapeur.
Soirées à thème
Quatre stations balnéaires toujours à l’horizon
Pour attirer 10 millions de touristes avant 2010, le Maroc avait lancé un programme d’investissement colossal dès 2004 pour la création de six stations balnéaires : le plan Azur.
Dix ans plus tard, le pays a certes atteint son objectif en matière de visites, mais sur les six complexes, seuls deux sont opérationnels (Mazagan et Saïdia). Les autres, à Agadir (Taghazout), à Larache (Lixus), près de Guelmim (Plage blanche) et à Essaouira (Mogador), sont encore en projet. Confiés à des opérateurs internationaux comme l’américain Colony Capital, l’espagnol Fadesa ou le néerlandais Colbert Orco, ces projets ont souffert de la crise financière et de ses répercussions sur le secteur touristique.
Reprogrammées dans la vision 2020 du plan, qui doit porter le nombre de touristes à 18 millions d’ici à cette date, ces quatre stations ont été reprises par l’État et des investisseurs nationaux, comme la CDG (Caisse de dépôt et de gestion), le fonds marocain de développement touristique ou les groupes Alliances et Addoha.
« Les stations du plan Azur sont sur la bonne voie. Leur tour de table a été reconstitué et leur financement bouclé. Elles devront entrer en activité dans les trois prochaines années », confie une source au ministère du tourisme.
Pour y parvenir, c’est toute une réorganisation de l’offre qui a été effectuée. Ce ne sont plus le night-club Sanctuary, le spa ou le parcours de golf 18 trous dessiné par le champion sud-africain Gary Player qui sont mis en avant, mais le Kidz Club, l’école de foot du PSG, le club d’équitation et les soirées à thème avec des chanteurs populaires comme Ramy Ayach et Khaled. Des activités dont raffolent les nouveaux riches et une partie de la classe moyenne de Casablanca et de Rabat.
Quant à la clientèle affaires, elle est restée au centre de la stratégie du site, qui dispose d’un des plus grands centres de conférences du pays, avec quelque 1 200 places assises. « Nous recevons toutes les semaines des groupes d’entreprise, pour des réunions, des congrès, des séminaires… assure un cadre commercial. Nous ciblons bien sûr des entreprises à l’international. » Mais là aussi, « la majeure partie de notre clientèle est marocaine ». Selon le management du resort, celle-ci représente pas moins du tiers de son activité.
Détournement
Le changement de stratégie a permis à Mazagan de se faire une place dans le paysage touristique marocain. Mais il n’a pas totalement satisfait les pouvoirs publics, qui considèrent que le projet ne respecte pas ses objectifs de départ. Conçu pour devenir l’une des six stations balnéaires du plan Azur, axé sur le tourisme étranger, le complexe mise désormais sur le local. Ses promoteurs auraient même levé le pied quant au développement des futurs projets, prévus dans le plan initial. « Mazagan était au départ une station balnéaire, pas simplement un hôtel de luxe ou un centre de congrès.
La convention signée avec l’État prévoyait un investissement de 6 milliards de dirhams sur trois tranches. Seule la première a été réalisée », explique un haut cadre du ministère du tourisme. Les phases 2 et 3 prévoyaient la construction de nouveaux hôtels, de résidences, de centres commerciaux et d’espaces de loisirs. « Mais elles semblent être passées aux oubliettes », regrette-t-il. À qui la faute ? « Aux concepteurs, argue le ministre du Tourisme, Lahcen Haddad, dans la presse locale. Une vraie station balnéaire ne peut pas réussir avec une démarche composée de plusieurs phases. »
Chargé de la relance du plan Azur, celui-ci tente de mettre la pression sur les actionnaires du projet, dont le groupe Kerzner (50 %), et plusieurs institutionnels marocains comme la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) développement (42,6 %) et le groupement de mutuelles Mamda-MCMA (7,4 %). Objectif : poursuivre coûte que coûte le plan initial. « Les investisseurs doivent nous dire dans l’immédiat s’ils sont capables et ont les moyens de réaliser les phases 2 et 3. Sinon, nous en chercherons d’autres », tonne-t-il.
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