Plaidoyer pour une nouvelle diplomatie tunisienne

Mehdi Taje, géopoliticien et prospectiviste, livre pour jeune Afrique son analyse du nécessaire tournant que doit amorcer la diplomatie tunisienne.

Le président du Parlement européen, Antonio Tajani, reçu par le président tunisien Beji Caid Essebsi le 31 octobre 2017. © Hassene Dridi/AP/SIPA

Le président du Parlement européen, Antonio Tajani, reçu par le président tunisien Beji Caid Essebsi le 31 octobre 2017. © Hassene Dridi/AP/SIPA

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  • Mehdi Taje

    Géopoliticien et prospectiviste tunisien, directeur du cabinet Global Prospect Intelligence

Publié le 6 décembre 2017 Lecture : 3 minutes.

Drapeau tunisien. © DR
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Le monde d’aujourd’hui est caractérisé par une nouvelle fluidité, qui bouscule tous les repères traditionnels. Loin de « la fin de l’histoire » prônée par Fukuyama, nous assistons à son accélération. Et dans ce monde en transition marqué par une instabilité et une imprévisibilité accrues, générant des risques de conflits et d’escalade élevés, les autorités tunisiennes ne peuvent plus ignorer la moindre secousse, même lointaine.

Les acquis de la Tunisie, encore fragiles et exposés sur le plan intérieur, sont directement menacés par un environnement géopolitique tourmenté, déphasé, fragmenté, voire hostile, qui amplifie ces vulnérabilités. Celui-ci fait peser un risque majeur sur le processus démocratique et est inhérent à une double dynamique.

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Faire de la Tunisie un État pivot

D’une part, le voisinage maghrébo-sahélien, durablement déstabilisé, projette un large spectre de menaces. Le chaos libyen, à l’est, combiné à une potentielle déstabilisation de l’Algérie – dans le cadre d’une éventuelle succession non maîtrisée –, à l’ouest, exposerait la Tunisie à une situation « à la libanaise », en donnant de la résonance aux lignes de fractures intérieures et en menaçant la cohésion nationale du pays.

En préservant les acquis, la nouvelle diplomatie tunisienne devra faire preuve d’audace, et ajouter des cartes à son jeu

D’autre part, l’ancrage de la Tunisie en tant que première société arabe démocratique la propulserait au rang d’État pivot dans la géopolitique du Maghreb et du monde arabe. L’accession à la communauté des États démocratiques lui conférerait une responsabilité nouvelle, tout en l’exposant à des stratégies malveillantes de la part d’acteurs étatiques et non étatiques hostiles à la réussite de sa transition.

Ces évolutions posent la problématique de la cohérence d’ensemble de notre posture stratégique et de l’adéquation des moyens. Tout en préservant les acquis, la nouvelle diplomatie tunisienne devra faire preuve d’audace. Fondée sur le pragmatisme et le réalisme, elle visera en priorité la défense des intérêts stratégiques nationaux. Agile, souple, elle devra, tout en maintenant un fort ancrage vis-à-vis de l’Europe et de la réassurance américaine, miser progressivement sur la multipolarité. Et, ne serait-ce que pour des raisons de marge de manœuvre dans le cadre des négociations avec ses partenaires traditionnels, elle devra ajouter des cartes à son jeu.

Une diplomatie plus offensive

Encore faut-il développer une vision, voir loin, faire preuve d’imagination et, là aussi, d’audace. Comment, par exemple, insérer habilement la Tunisie dans le vaste projet de nouvelles routes de la soie déployé par la Chine ? Et comment tirer le meilleur parti de cette insertion dans le cadre des futures négociations avec l’Union européenne ?

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Les objectifs prioritaires assignés à cette diplomatie plus offensive doivent être d’assurer la sécurité du pays, de soutenir le développement économique et social, de permettre d’amorcer la sortie de crise et de contribuer, à moyen terme, à l’émergence de la Tunisie sur la scène internationale, en lui conférant une capacité de résilience face aux chocs.

Le « label Tunisie » érigera le pays en État pivot au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie

Il faudra être en mesure de tirer le meilleur parti des évolutions qui sont en train de dessiner la future grammaire géopolitique et de parer aux menaces. Cette diplomatie multivectorielle ou à large spectre, fondée sur de fines capacités d’analyse géopolitique et prospective, se déclinera, fluide, à l’image d’une goutte d’huile : diplomatie de principes, diplomatie proactive ou transformatrice, diplomatie de réseau, diplomatie économique cultivant la veille stratégique, diplomatie des flux et diplomatie culturelle, valorisant la marque ou le label Tunisie, constitueront autant de leviers pour ériger le pays en « État pivot » au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie.

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La singularité démocratique seule ne suffira pas. L’ensemble de notre grille de lecture et d’analyse doit être revu et décloisonné à l’aune des bouleversements mondiaux et régionaux. Raisonner comme par le passé, sans cultiver un regard neuf et affûté, ne pourra qu’amener la Tunisie à « subir » ces changements et à « gémir » en « gérant » dans l’urgence.

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