Tunisie : le projet de loi de finances en déficit de soutiens solides

À l’approche du 10 décembre, jour de clôture des débats à son sujet, le projet de loi de finances ne convainc pas à gauche, et peu à droite. Les syndicats de travailleurs s’y opposent, et le patronat ne le soutient pas…

Youssef Chahed, chef du gouvernement tunisien, juste avant d’obtenir le vote de confiance pour son second gouvernement (à d. Mohamed Naceur). A Tunis, le 11 septembre 2017. © Hassene Dridi/AP/SIPA

Youssef Chahed, chef du gouvernement tunisien, juste avant d’obtenir le vote de confiance pour son second gouvernement (à d. Mohamed Naceur). A Tunis, le 11 septembre 2017. © Hassene Dridi/AP/SIPA

CRETOIS Jules

Publié le 27 novembre 2017 Lecture : 3 minutes.

« Dans la commission des finances dont je suis membre, même un élu de Nidaa Tounes [de la majorité, NDLR] a fait état devant nous de son scepticisme vis-à-vis du projet de loi de finances (PLF) proposé par le gouvernement », confie, sans toutefois nommer l’intéressé, Fathi Chamkhi, député du bloc de gauche à l’Assemblée. C’est la chanson qui se fait entendre ces temps-ci à Tunis : le PLF, arrivé au Parlement le 15 octobre, quelques jours après être passé en Conseil ministériel, et doit être adopté le 10 décembre, ne trouve pas de défenseurs.

La commission des finances a aujourd’hui étudié un peu plus de la moitié des 54 articles du projet et le constat est amer. « En octobre, un élu de Nidaa Tounes osait lâcher tout de go au ministre des Finances Ridha Chalghoum son opposition pure et dure au PLF », confie un élu.

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« Quant aux islamistes d’Ennahda, a priori en soutien au gouvernement, ils se montrent pudiques, préfèrent parler de l’outillage anti-corruption et de la lutte contre l’évasion fiscale. Ce qui dénote une sympathie a minima pour le projet », continue-t-il.

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Sa philosophie est pourtant simple, et fait presque l’unanimité. Khawla Ben Aïcha, députée de Machrouu Tounes, la résume : « Le PLF est sous-tendu par une idée : maintenir le déficit budgétaire en dessous de 5% du PIB ».

Le gouvernement tunisien a passé un accord avec le FMI et s’est ainsi engagé à baisser à 3% du PIB le déficit – aujourd’hui aux alentours de 6%. Alors pourquoi, pour reprendre la critique de cette élue du centre, a-t-on « l’impression que le patronat autant que les syndicats de travailleurs sont déçus » ?

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1% de plus

Beaucoup d’élus s’accordent pour dire que ce projet de loi est un peu « facile »

« La première disposition majeure est l’augmentation de l’impôt sur le revenu. Le PLF prévoit ainsi une augmentation de 1% sur les différentes tranches, y compris celle qui était jusqu’ici exonérée d’impôt sur le revenu », nous dit Amine Bouzaîene, chercheur spécialisé en questions fiscales et membre de l’Observatoire tunisien de l’économie. « Le revenu sur les sociétés augmenterait d’un point aussi, ce qui n’a pas été sans provoquer des réactions négatives du côté d’adhérents à l’UTICA [syndicat patronal, ndlr] ».

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« Beaucoup d’élus s’accordent pour dire que ce projet de loi est un peu « facile » », relève Ben Aïcha. En effet, concernant les impôts indirects, une approche similaire a été retenue : le PLF prévoit une augmentation d’un point de la TVA. Les trois taux, le classique, l’intermédiaire et le réduit passent ainsi de 18 à 19, de 12 à 13, et de 6 à 7.  Bouzaîene abonde dans le sens de Ben Aïcha : « C’est vrai qu’on dénote une facilité dans la manière dont le PLF a été pensé. Les facultés contributives ne semblent pas avoir été prises en compte… »

Chacun ses récriminations

Si le projet, qui se veut de consensus, ne fait pas l’unanimité, l’opposition au projet n’est pas unie pour autant. Ainsi, l’exonération pour deux ans des sociétés entièrement exportatrices fait grimacer à gauche, mais plait à droite.

A contrario, le doublement de l’impôt sur les dividendes, qui passerait de 5 à 10% fait grincer des dents les libéraux là où il est accueilli avec sympathie plus à gauche.

En un mot comme en cent, le PLF ne passe pas. Et quelques élus, prêts pour la bataille, affûtent leur argument massue : brandir l’article 10 de la Constitution, qui consacre le principe de justice fiscale, pour s’opposer aux propositions gouvernementales.

A cela s’ajoute les levées de boucliers de la part de différents segments de population qui, chacun pris à part, trouve à redire à l’augmentation des taxes par lesquelles ils sont visés. C’est notamment le cas chez les promoteurs immobiliers, où l’on s’émeut de la hausse de la TVA sur l’acquisition d’un logement neuf.

La crainte d’un consensus qui ne convient à personne

Chacun active donc ses courroies de transmission. Le patronat n’a pas caché son mécontentement, en proposant même une copie alternative. « En coulisses, les différentes corporations et les différents groupes d’intérêts se manifestent aussi », confie un élu.

L’UGTT passe de son côté par la gauche du Parlement. Ce 27 novembre, sur Express FM, Mongi Rahoui, député et membre de la commission des finances a affirmé que les amendements déposés sur le PLF seront nombreux. Ce que craint Chamkhi, c’est au final « un consensus bâtard, trouvé à la hâte, sur un PLF qui ne sera pas celui voulu par le gouvernement, ni celui qu’aurait écrit la représentation populaire… »

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