Irak – Syrie : Moyen-Orient compliqué, vraiment ?

L’irruption d’un « califat » à prétention globale sur les débris de l’Irak et de la Syrie a plongé nombre d’observateurs dans la confusion. Mais les choses sont plus simples qu’il n’y paraît.

Jihadistes de l’État islamique en Syrie, le 30 juin. © AP/Sipa

Jihadistes de l’État islamique en Syrie, le 30 juin. © AP/Sipa

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 11 juillet 2014 Lecture : 3 minutes.

Le 29 juin, un nouveau califat est né, avec à sa tête l’Irakien Ibrahim Ali al-Badri, dit Abou Bakr al-Baghdadi. Chevauchant des zones qui ont échappé au contrôle de la République arabe syrienne et de la République irakienne, cet "État islamique" (EI) à prétention globale, nouvelle appellation de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), voudrait redessiner, sur le canevas d’un lointain âge d’or musulman, les frontières de l’Orient tracées par l’Occident colonial dans les années 1920.

Dans la médiasphère s’affichent des cartes tachées à l’encre noire du jihad qui illustrent les frontières projetées dudit État, des confins de la Chine à l’Espagne, prophétisant la résurrection utopique de l’unité politique musulmane qui n’a vécu que le temps de la dynastie des califes omeyyades, entre 661 et 750.

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On annonce la mort du pacte anglo-français Sykes-Picot, conclu en 1916 pour modeler et se répartir les nations du Moyen-Orient. L’aube d’une ère nouvelle ? Peu probable, prédisent les meilleurs experts, mais l’apparition inattendue de cette chimère politique, hybride de l’histoire médiévale et de l’hyper-terrorisme d’Al-Qaïda, a plongé les observateurs dans la confusion. Un Orient inextricable que l’Occident, naguère colon, hier gendarme des lieux, semble aujourd’hui impuissant à comprendre et à gérer.

États-Unis et Iran dans le même camp

Face aux extrémistes sunnites de l’EI, les États-Unis, garants du régime qu’ils ont installé à Bagdad après l’invasion de 2003, se retrouvent dans le camp de leur ennemi irréductible, la République islamique chiite d’Iran, qui protège aussi le gouvernement de Nouri al-Maliki, le Premier ministre autocrate chiite cible de ce jihad sunnite. Washington envisageait-il des frappes contre les troupes de l’EI ?

C’est finalement le Syrien Bachar al-Assad, vassal de l’Iran et dont Obama ne cesse de souhaiter le renversement, qui bombarde les radicaux du "califat". Ce même Assad qui instrumentaliserait sur ses terres l’EI pour miner l’insurrection soutenue par les Américains et l’Arabie saoudite. Cette dernière, monarchie ultra-sunnite, ne manipulerait-elle pas l’EI pour bouter hors de leurs capitales Assad l’Alaouite et Maliki le chiite, brisant ainsi l’axe pro-iranien qui s’étend de Téhéran à Beyrouth ?

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Lire l’interview de Michel Kilo, opposant syrien historique : "Assad veut faire croire aux Occidentaux qu’il peut lutter contre l’intégrisme"

À Jérusalem, Benyamin Netanyahou, l’intransigeant Premier ministre israélien, décrète l’obsolescence des vieilles frontières et salue la décision des Kurdes d’Irak d’organiser un référendum sur leur indépendance. Chiites et sunnites, Perses, Arabes et Kurdes, Russes et Américains, révolutionnaires démocrates et rigoristes conservateurs, jihad et sionisme : l’imbroglio semble total. C’est "l’Orient compliqué", explique-t-on de manière un peu simpliste.

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Les grandes puissances en contradiction

"Ce n’est pas la fin de Sykes-Picot. Des hordes de radicaux sunnites ne vont pas envahir Bagdad pour y créer un califat, et ce n’est pas l’Arabie saoudite qui manipule l’EI. La prise de Mossoul et de Tikrit ? Il ne s’agit que de quelques centaines de jihadistes qui ont poussé un peu fort un château de cartes", s’exaspère Peter Harling, de l’International Crisis Group (ICG). L’irruption de cet État chimère sur les débris de la Syrie et de l’Irak réveille les vieilles fractures, révèle les paradoxes d’une région riche de cinq mille ans d’histoire et met au jour les contradictions des grandes puissances. Mais la situation est plus simple qu’il n’y paraît.

Fruit de l’invasion américaine de 2003 et de la révolution syrienne débutée en 2011, l’EI menace les intérêts de toutes les puissances régionales, amies ou adversaires.

Fruit de l’invasion américaine de 2003 et de la révolution syrienne débutée en 2011, l’EI menace les intérêts de toutes les puissances régionales, amies ou adversaires. L’Iran chiite est désigné comme le grand ennemi, mais l’Arabie saoudite, gardienne de La Mecque et puissance sunnite dominante, reste une cible primordiale. L’Occident, ennemi lointain du jihad, tremble à l’idée d’un nouveau 11 Septembre perpétré par des jihadistes rapatriés de l’EI, et la Russie redoute de voir se reconstituer une base d’expansion du terrorisme proche de ses frontières.

Défendant des intérêts particuliers, toutes ces puissances se retrouvent liguées de facto contre l’ennemi commun, sans que cela n’implique pour autant la conclusion d’alliances contre-nature.

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