Zimbabwe : quelles perspectives pour l’économie après le départ de Robert Mugabe ?
Le nouveau président zimbabwéen Emmerson Mnangagwa hérite du bilan économique catastrophique de Robert Mugabe. Moins « idéologique » que son prédécesseur, il pourrait prendre des mesures permettant de stabiliser la situation, sans que l’état de l’économie zimbabwéenne ne s’améliore à court terme.
Zimbabwe : coup de Grace pour Robert Mugabe
Après 27 années passées au pouvoir, Robert Mugabe a démissionné le mardi 21 novembre. retour sur les semaines qui ont conduit à la chute du plus vieux chef d’État de la planète, et sur les premiers jours du Zimbabwe post-Mugabe.
Dans son discours d’investiture le 24 novembre, Emmerson Mnangagwa, le nouveau président du Zimbabwe, s’est montré très offensif sur les questions économiques, rappelant que la reconstruction du pays se ferait « en incorporant des éléments d’économie de marché » et en « encourageant l’entrepreneuriat ». Proche de Robert Mugabe et de l’appareil sécuritaire zimbabwéen, plusieurs fois ministre depuis les années 1980, puis vice-président à partir de 2014, il a cependant pris le contre-pied, au moins en parole, des orientations de politiques économiques de son prédécesseur, soulignant que « les investissement extérieurs faits au Zimbabwe seront sécurisés ». Mnangagwa a ajouté que « les gens doivent avoir accès à leur épargne et à leurs revenus ».
L’une de ses premières mesures dans le domaine économique a été de renommer le 27 novembre Patrick Chinamasa, un historique du ZANU-PF, au poste de ministre des Finances, qui avait été rétrogradé par Mugabe il y a un mois au portefeuille nouvellement créé de la Cybersécurité.
Devenu premier ministre du Zimbabwe le 18 avril 1980, Robert Mugabe prenait les reines d’une économie relativement diversifiée, avec un taux de croissance supérieur à 10 % en 1980-81. Aujourd’hui, l’économie zimbabwéenne est en crise, avec un revenu par habitant qui est passé de 1 269,5 en 1981 à 590,7 en 2008 d’après la Banque mondiale.
Un programme d’ajustement structurel à partir de 1991
Le Zimbabwe a connu ses premières difficultés économiques à la fin des années 1980, avec des problèmes de balance de paiement et d’importants déficits budgétaires. Poussé par la communauté internationale, le pays est entré dans un programme d’ajustement structurel en 1991, acceptant un package de réformes qui incluait libéralisation de l’économie, et notamment du secteur financier, ainsi que des mesures d’austérité.
Parallèlement, Mugabe a mené un politique budgétaire pour le moins aventureuse, avec en 1998 des paiements non-budgétés à d’anciens vétérans utilisés comme milice politique, et l’envoi de l’armée en RDC pour soutenir Kabila, ce qui a dégradé la situation des finances publiques.
Les institutions financières internationales ayant quitté le pays en 1999, l’économie s’est progressivement enfoncée dans la crise économique, avec une détérioration de la situation sur le plan monétaire et une première phase d’hyperinflation au début des années 2000.
Réforme agraire et hyperinflation
À la fin des années 1990, Mugabe s’est lancé dans une redistribution forcée des terres agricoles appartenant aux fermiers blancs. Cette politique a accéléré le déclin de la production agricole, qui a chuté de 60 % en volume entre le début des années 2000 et 2008, tandis que le PIB zimbabwéen a diminué de 52 % entre 1999 et 2008, d’après un rapport du Overseas Development Institute (ODI).
Avec l’effondrement des recettes publiques tirés des exportations agricoles, telles que le tabac, le gouvernement a commencé à manquer de ressources financières.
Pour combler ce manque à gagner, la banque centrale s’est tout simplement mise à imprimer de la monnaie pour permettre à l’administration de faire face à ses dépenses. Difficilement mesurée par les économistes, l’hyperinflation zimbabwéenne aurait atteint 500 milliards de pour-cent selon le FMI ou 89,7 trillions de pour-cent d’après l’économiste spécialiste de ces phénomènes Steve Hanke de l’université Johns Hopkins et du Cato Institute.
Désindustrialisation, dépendance aux matières premières et dollarisation de l’économie
Ces difficultés ont contribué à renforcer la désindustrialisation et l’informalisation de l’économie zimbabwéenne : la part de l’industrie dans le PIB a diminué de 26,9 % en 1992 à 11,7 % en 2004, tandis que l’emploi informel est passé de 80 % de l’emploi total en 2004 à 94,5 % en 2014. Le secteur formel n’emploie plus que 350 000 personnes.
Parallèlement, la dépendance de l’économie zimbabwéenne aux matières premières s’est accrue. La part des mines dans le PIB est passée de 10,2 % dans les années 1990 à 16,9 % en moyenne en 2009-2011, et à 65,2 % des recettes d’exportation entre 2009 et 2013. L’agriculture quant à elle comptait pour 28,3 % des exportations en moyenne sur la période 2009-2013. Près de 93,5 % des recettes d’exportations dépendaient ainsi des matières premières en 2009-2013.
En 2009, le Zimbabwe a abandonné sa propre monnaie, adoptant le dollar comme moyen de paiement pour résorber les problèmes d’hyperinflation. Cette dollarisation a conduit à une stabilisation de la situation économique, avec un taux de croissance annuel moyen de 2,9 % entre 2009 et 2016.
Depuis, pour apporter des liquidités au système financier, la banque centrale a émis des« billets d’obligations », sans pour autant que la situation ne s’améliore.
0,7 % de croissance en 2016
D’après un rapport de la Banque mondiale publié en juin 2017, l’activité a ralenti de 1,4 % en 2015 à 0,7 % en 2016. L’institution de Bretton Woods rappelle que « la consommation par habitant a chuté de 5% et le niveau d’investissement à un niveau bien en dessous de la moyenne de l’Afrique subsaharienne ».
Bien qu’une sécheresse ait entraîné une chute de la production agricole et de la génération hydroélectrique, le secteur des mines a été très dynamique en 2016 (+8,2 %), tandis que l’industrie et les services ont connu une dynamique modeste.
Hausse de la pauvreté et émigration
Ce ralentissement de la croissance affecte en premier lieu les ménages pauvres, en grande majorité ruraux. Le nombre de personnes en situation de pauvreté extrême est passé de 2,6 millions en 2015 à 2,8 millions en 2016 (estimation). Selon la Banque mondiale, « en 2016, le nombre de personnes souffrant d’insécurité alimentaire a augmenté pour atteindre 2,8 millions, ou 17,5 % de la population totale ».
Les chiffres exacts sont difficiles à obtenir, mais The Economist rapporte qu’entre 3 et 5 millions de zimbabwéens auraient fui le pays, en majorité vers l’Afrique du Sud, pour une population estimée par les Nations unies à 17 millions d’habitants. La population zimbabwéenne est très jeune, avec un âge médian de 20,6 ans.
Moins idéologique et plus pragmatique
Pour Chris Vandone de Chattam House, « les réformes seront difficiles car les élites connectées ont acquis des affaires par le biais de moyens non-compétitifs ». Il ajoute que « Mnangagwa est considéré comme moins idéologique et plus pragmatique [que Mugabe]. Pour lui, la relance économique sera déterminante pour acquérir un soutien politique ».
Enfin, « la nouvelle administration a besoin de reconstruire la confiance », soulignant que « les investisseurs doivent reconnaître que derrière les politiques controversées de réforme agraire et d’indigénisation menées par Mugabe se cache un désir populaire d’émancipation économique post-coloniale ».
La stagnation économique du pays va continuer, au moins à court terme
The Economic Intelligence Unit (EIU) se montre pour l’instant attentiste : « Il est peu probable que l’économie zimbabwéenne puisse se remettre rapidement, même si une nouvelle administration introduit des réformes ».
« Un nouveau gouvernement, devant faire face à des attentes de changement très importantes, n’adoptera probablement pas des mesures cruciales telles qu’une hausse des impôts et une réduction du nombre de fonctionnaire », mesures justifiées selon l’EIU par la situation des finances publiques. De ce fait, « la stagnation économique du pays va continuer, au moins à court terme ».
Relancer l’agriculture pour redynamiser l’économie et réduire la pauvreté
Selon le spécialiste du développement international Admos Chimhowu, de l’université de Manchester, l’une des priorités du nouveau gouvernement doit être de relancer l’agriculture zimbabwéenne, qui pourrait avoir un effet d’entrainement très fort sur le reste de l’économie, contribuant à réduire la pauvreté.
Le secteur agricole constitue la base des revenus directs et indirects de 70% de la population, tandis que 11 millions d’hectares de terres arables appartenant à l’Etat sont aujourd’hui inexploitées. D’après Chimhowu, « la bonne nouvelle est que, tandis que d’autres secteurs de l’économie vont mettre du temps à se développer, ce domaine peut produire des résultats rapides ».
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