Au Maroc, l’Afrique et la Chine définissent leurs intérêts communs
Au 2e China-Africa Investment Forum, qui s’est ouvert le 27 novembre à Marrakech, le principe d’une « coopération pragmatique » guide les discussions entre acteurs gouvernementaux et investisseurs.
La deuxième édition du China-Africa Investment Forum, qui s’est ouverte le 27 novembre à Marrakech, accueille plus de 400 participants dont 150 investisseurs chinois, du public et du privé.
L’initiative chinoise de nouvelle route de la soie (« One belt, one road ») suscite beaucoup d’intérêt, comme l’a rappelé le ministre marocain de l’Industrie, Moulay Hafid Elalamy, dans son discours d’ouverture. « En 2016, les échanges commerciaux [entre Pékin et le continent] se sont élevés à 194 milliards de dollars. Plus de 10 000 entreprises industrielles chinoises opèrent en Afrique et génèrent un volume d’affaires de plus de 60 milliards de dollars chaque année. »
En deux ans 30 000 emplois ont été créées, a de son côté rappelé Li Li, l’ambassadeur chinois au Maroc, soulignant l’importance « d’un développement partagé » entre la République populaire et les pays africains.
Depuis 2016, les Chinois n’ont plus besoin de visas pour se rendre au Maroc
Le Maroc se devait d’être bien placé sur cet itinéraire pour l’instant plus développé dans l’est du continent, notamment par des partenariats privilégiés avec l’Égypte, Djbouti ou encore l’Éthiopie. Un mémorandum a été signé en ce sens le 17 novembre, à l’occasion de la visite en Chine de Nasser Bourita, le ministre marocain des Affaires étrangères.
Déjà en 2015, à Johannesburg, le roi Mohammed VI avait déclaré : « Le développement des relations sino-africaines est un véritable choix stratégique auquel nous sommes pleinement attachés et engagés. Notre volonté de réaliser des actions concertées et d’opérer une coopération pragmatique, est fondée sur les principes d’avantages réciproques et de développement commun ».
Porte d’entrée incontournable
Le Maroc veut ainsi plus que jamais se poser en porte d’entrée incontournable d’accès au continent. Pour Tony Dong, qui dirige la fédération des entrepreneurs sino-européens, « avec sa position stratégique et l’absence de barrières douanières vers plusieurs zones géographiques, le Maroc est un point de départ pour investir en Afrique ». Il se félicite des améliorations de ces dernières années : « Depuis 2016, les Chinois n’ont plus besoin de visas et le pays se montre plus ouvert aux investisseurs. Des projets concrets sont désormais proposés. »
Cent cinquante chefs d’entreprises sont ici, et ils ont dû changer trois fois d’avion. Peut-être que l’an prochain nous aurons une liaison directe ?
Il estime pourtant que des améliorations sont encore possibles : « Cent cinquante chefs d’entreprises sont ici, et ils ont dû changer trois fois d’avion. Peut-être que l’an prochain nous aurons une liaison directe ? », se demande-t-il par exemple. Mais il insiste aussi sur le besoin des entreprises chinoises en financements locaux. Une possibilité que les banques marocaines sont prêtes à envisager sérieusement. Dans son intervention, Othman Benjelloun, président de la BMCE (banque marocaine de commerce extérieur) s’est fait très direct, appelant à créer « des liens structurels entre nos banques, à travers des initiatives pouvant aller jusqu’à des prises de participation capitalistiques entre institutions financières chinoises et marocaines ».
La BMCE est déjà présente dans 19 pays africains à l’ouest, à l’est et au centre du continent, ce qui en fait le deuxième groupe bancaire panafricain, et cette assise semble intéresser côté chinois. Si Pékin lorgne l’important marché africain, le continent a aussi ses attentes. « L’Afrique, c’est 1,2 milliard de personnes, un chiffre qui va doubler d’ici une trentaine d’années. Nous devons avoir des industries pour employer les jeunes qui arrivent sur le marché, souligne le ministre ivoirien de l’Industrie et des Mines, Jean Claude Brou. « La relation doit être gagnant-gagnant : nous avons besoin de nous industrialiser, d’apporter une valeur ajoutée à nos produits agricoles ou miniers et d’accueillir des industries qui se délocalisent en Afrique. À travers des négociations bien menées, nous pouvons bénéficier de ce partenariat. »
Aujourd’hui, dans notre industrie textile, le capital est chinois, les employés marocains
Interrogé en marge du Forum, Moulay Hafid Elalamy a souligné aussi l’importance de saisir la métamorphose de l’économie chinoise pour en profiter : « Après avoir été la première usine du monde, la Chine devient le premier consommateur du monde, et a la volonté de créer une classe moyenne forte. Le pendant de cela, c’est la compétitivité chinoise est en train de s’éroder, selon la Banque mondiale : 85 millions d’emplois sont en train de quitter la Chine pour aller ailleurs. » L’enjeu pour les entreprises chinoises est de maintenir leurs carnets de commandes et de garder leurs clients. « On ne pouvait pas imaginer il y a quelques années encore que la Chine, qui a pris toutes nos industries textiles, serait aujourd’hui en train d’investir dans l’industrie textile au Maroc. Le capital est chinois, les employés sont marocains, le reflux est important et s’est fait de façon discrète », poursuit le ministre.
Le transfert de technologie, une question sensible
Sur les transferts de technologie qui peuvent être espérés, Moulay Hafid Elalamy reste lucide : « Qui fait du transfert de technologie aujourd’hui ? On le fait quand on y est obligé, pas par générosité. Les Chinois feront la même chose que les Européens ou les Américains : ils s’installeront en Afrique pour que ça leur coûte moins cher, pas pour faire du transfert de technologie. »
Chien Jianhua, responsable des investissements extérieurs du groupe Joyvio (liqueurs, vins) illustre ce pragmatisme : « Mon conseil d’administration attend deux réponses de nos échanges avec l’Afrique : Quel est le retour sur investissement ? Et quel est le niveau de sécurité de nos investissements ? »
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