L’Éthiopie en mode éthique et chic
Addis-Abeba, capitale de la mode ? Les designers locaux en rêvent. Et pour cause : entre tradition et matériaux « verts », certaines marques séduisent déjà les fashionistas.
Dans la rue, tisserands et potiers s’activent, mais le plus grand calme règne dans cet atelier de Sidist Kilo, un quartier du nord-est d’Addis-Abeba. Une dizaine d’artisans patientent tandis que le maître à tisser inspecte les étoffes.
La clientèle étrangère est difficile. Une écharpe colorée dans une main, un nuancier de tons bleus dans l’autre, l’homme ne laisse rien passer. "Au début, les tisserands ont eu du mal à comprendre nos exigences, commente Jacques Dubois, l’un des fondateurs de Muya Ethiopia, une enseigne de meubles et de tissus traditionnels locaux. Parfois, il fallait tout recommencer à cause d’un petit défaut. Et puis la longueur, le mélange de couleurs et les styles ne leur étaient pas familiers."
Lancée en 2005, Muya Ethiopia fait partie des pionniers. Elle exporte la totalité de ses créations. "J’avais envie de mettre en valeur notre héritage et notre savoir-faire traditionnel, raconte Sara Abera, sa cofondatrice et designer. L’Éthiopie n’a jamais été colonisée, nos techniques sont restées intactes." "Longtemps, le talent de nos artisans est demeuré invisible, ajoute la jeune créatrice Bethlehem Tilahun Alemu. Mais nous sommes sur le point de concurrencer les plus grandes marques."
Elle a conquis les plateformes de vente en ligne
Car si l’on savait déjà que les professionnels de la mode, à l’instar du géant suédois H&M, ont les yeux rivés sur l’Éthiopie, où ils rêvent d’installer leurs usines pour réduire leurs coûts de production, Addis-Abeba regorge aussi de créateurs qui séduisent les plus grandes marques de prêt-à-porter. La clé de ce succès ? "Nous donnons aux tissus et motifs traditionnels une touche de modernité", explique Genet Kebede, une créatrice dont les sacs commercialisés sous la marque Paradise Fashion sont disponibles chez Barneys, la prestigieuse enseigne new-yorkaise.
Le boom de la consommation éthique explique également ces bons résultats, poursuit Bethlehem Tilahun Alemu : "Le consommateur global a une conscience et de plus en plus d’exigences. Il réclame des produits authentiques, écologiques et de qualité."
La jeune créatrice, 33 ans, a lancé il y a dix ans sa propre marque de chaussures écologiques, soleRebels. Elle exporte 90 % de sa production. Après avoir conquis les plateformes de vente en ligne Amazon et Urban Outfitters, ses sandales, tongs et mocassins certifiés "commerce équitable" par la World Fair Trade Organization sont désormais vendus dans quatorze boutiques, de Taïwan à l’Autriche en passant par le Japon et l’Espagne.
Néanmoins, vendre à l’étranger relève encore du parcours du combattant pour les designers locaux. "La contrainte de rapidité de production constitue toujours un obstacle pour nos entrepreneurs", reconnaît l’Américaine Elizabeth Brown, l’une des fondatrices d’Africa Design Hub, une plateforme de vente en ligne ouverte en 2013.
Sawa et Enzi visent les hipster de Londres et de Hong Kong
Cantonnées jusqu’à présent aux boutiques du Mercato, le grand marché d’Addis-Abeba, les productions éthiopiennes s’exportent de plus en plus, et la ville se prend à rêver de devenir une capitale de la mode. Comme Lagos, où s’est tenue en mai la première Africa Fashion Week organisée sur le continent.
Pour les marques locales, le principal défi reste de se faire connaître. Les fabricants de chaussures Sawa et Enzi sont en train de gagner leur pari en ciblant les hipsters de Londres et de Hong Kong. Quant à la marque Lemlem, qui commercialise des écharpes et des robes de coton mélangé tissées main, elle reçoit régulièrement les honneurs de magazines de mode comme Marie-Claire, Vogue et Elle. Une publicité qui doit beaucoup au réseau de sa fondatrice, le mannequin éthiopien Liya Kebede. En 2007 et 2008, le magazine Forbes l’a classée parmi les 15 top-modèles les mieux payés au monde.
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Emeline Wuilbercq
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