L’œil de Glez : à Maiduguri, le futur musée des horreurs de Boko Haram ?
Comme pour dire l’indicible historique, la maison du fondateur de Boko Haram pourrait devenir un lieu de témoignage et d’édification. Danger de la sanctuarisation ?
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 30 novembre 2017 Lecture : 2 minutes.
La question est ancestrale : faut-il maquiller les outrages de l’Histoire ou conserver les ruines comme des témoignages de ce qui fut, malgré tout ? Lorsque les affronts à l’Humanité sont l’œuvre des humains eux-mêmes, faut-il en préserver des traces ou privilégier l’oubli par l’effacement ? Après la seconde guerre mondiale, préserver un camp d’extermination en l’état, c’était montrer le caractère crédible de l’inimaginable. En décembre 2001, à Kigali, exposer des crânes de victimes du génocide rwandais, c’était dire l’indicible en échappant aux mots…
Comme si la lutte contre la secte islamiste Boko Haram devait atteindre incessamment ses objectifs, le Nigeria pense déjà au devoir de mémoire. Et là encore, les lieux peuvent porter les souvenirs, parfois plus que les phrases éculées ou les corps flétris. C’est pourquoi un membre du gouvernement de l’Etat du Borno annonçait, en début de semaine, que la maison du fondateur du groupe jihadiste serait transformée en musée.
Hébergement et lieu de culte
Né en 1970 dans le nord-est du Nigeria, le prêcheur Mohammed Yusuf est décédé à Maiduguri, en détention, en 2009. C’est notamment dans son domicile – en ruine depuis un assaut de l’armée nigériane – que le chef spirituel embrigadait de jeunes étudiants. Le lieu était devenu un centre (« markaz », en arabe) où les déçus de la politique trouvaient tout à la fois hébergement et lieu de culte. Pour Muhammad Bulama, ministre local de l’Information, l’insurrection de Boko Haram marque un tel « tournant fondamental dans l’histoire du Borno » qu’il convient, par ce musée, de « documenter, préserver et archiver l’Histoire ».
Ecoute plus souvent les choses que les êtres…
Des voix discordantes craignent que le réaménagement du lieu n’aboutisse à une sanctuarisation, que certaines visites du musée deviennent des pèlerinages inavoués. Après avoir tué Oussama ben Laden, les troupes américaines n’avaient-elles pas pris soin de ne laisser aucune trace de son cadavre, ni, neuf mois plus tard, de la maison où il résidait avant sa mort ?
Des observateurs de l’histoire nigériane récente rappellent que la prise des armes par Abubakar Shekau doit beaucoup au choc que cet autre leader de Boko Haram avait subi au moment du raid contre le centre coranique de Mohammed Yusuf. Bien sûr, la « markaz » en question n’est pas un mausolée. Et la prise en main du lieu par les autorités garantit une certaine contextualisation et exploitation pédagogique. « Ecoute plus souvent les choses que les êtres », a dit le poète…
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