Emmanuel Macron sans filtre et sans tabou, au risque de l’arrogance
À croire qu’il ne peut pas s’en empêcher. À force d’être cool, de parler cash, de jouer avec les petites blagues ironiques comme on se chambre entre barbes-de-trois-jours et associés de start-up, Emmanuel Macron a du mal à éviter les dérapages dès qu’il sort de ses notes.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 5 décembre 2017 Lecture : 2 minutes.
En France, on le sait depuis sept mois. En Afrique, cela choque, et Roch Marc Christian Kaboré, après les Comoriens repêchés et les Nigériennes fécondes, en a fait les frais. Dans des pays où l’autorité de l’État a besoin d’être confortée, incarnée et respectée, le tutoiement intempestif du « reste là » adressé au chef de l’État burkinabè, de 20 ans son aîné, par le président de l’ancienne puissance coloniale en plein happening devant 800 étudiants passe mal.
Tout comme le « il est parti réparer la climatisation » qui a suivi et se voulait spirituel. Ou le « n’ayez pas une approche bêtement postcoloniale et anti-impérialiste » adressée à un contradicteur – comme s’il existait une manière bête d’être contre l’impérialisme.
Tutoierait-il en public Xi Jinping ou Mohammed VI ?
Emmanuel Macron oserait-il s’adresser à « la jeunesse asiatique » comme il l’a fait à « la jeunesse africaine » ? Sans doute pas. Tutoierait-il en public Xi Jinping ou Mohammed VI ? À l’évidence, non.
L’un des legs les plus détestables de la Françafrique
Le général de Gaulle, à qui il se réfère souvent, ne s’est jamais livré à ce genre de privautés avec ses interlocuteurs africains, qu’il considérait pourtant avec une immense dose de paternalisme, pas plus que François Mitterrand.
Si les membres du Conseil présidentiel pour l’Afrique veulent être utiles, ils devraient le lui dire : Emmanuel Macron doit se débarrasser du Sarkozy qui sommeille en lui, au risque de passer pour désinvolte. Pis : pour arrogant.
On est colonisé quand on est colonisable
« L’humour, c’est une relation d’égal à égal », s’est-il défendu. Ce n’est pas pour autant la pilule qui fait tout avaler. On passe vite, sur le continent, du salon à la cuisine. Raison de plus pour rompre avec l’un des legs les plus détestables de la Françafrique : la familiarité.
Macron sans filtre et sans tabou donc, mais, après tout, pourquoi se gênerait-il si les chefs d’État africains – tout au moins les francophones – acceptent d’être ainsi mésestimés ?
Tant qu’ils joueront des coudes pour être à ses côtés sur la photo et avoir le privilège de l’appeler « Emmanuel » comme hier « François », « Nicolas » ou « Jacques », tant qu’ils considéreront une audience à l’Élysée comme la suprême légitimation et se déplaceront en grand appareil à l’aéroport pour accueillir le président français, alors qu’un simple préfet les attend au pied de l’échelle de coupée lorsqu’ils se rendent à Paris, il sera vain de parler de rupture dans la relation franco-africaine.
Pour mieux écouter, sans doute, la « leçon à la jeunesse » d’Emmanuel Macron et en particulier son indispensable addendum sur l’importance de l’éducation, les autorités burkinabè n’ont rien trouvé de mieux que de fermer les écoles pendant quarante-huit heures. Revient en écho cette phrase acerbe de Frantz Fanon : « On est colonisé quand on est colonisable. »
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