Cemac : vingt ans… et des regrets
Gabegie administrative, projets en suspens, scandales financiers et rivalités politiques affaiblissent une organisation régionale dont les membres ne parviennent pas à définir une politique commune. On est loin des lendemains qui chantent…
Pour la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), la vingtième année de son existence (commencée le 16 mars 1994) s’est ouverte sur ce qui ressemble bien à un échec : le "non" de la Guinée équatoriale et du Gabon à la libre circulation des personnes, qui devait entrer en vigueur en janvier 2014. Une mesure absolument nécessaire à la construction d’un espace communautaire, d’une zone de plein-emploi et d’un marché intégré à la hauteur des attentes formulées par les pays fondateurs.
Si le projet reste bloqué, c’est parce que ses initiateurs ont mis la charrue avant les boeufs, en prévoyant une suppression des visas alors que les conditions relatives à l’état civil et à la sécurité transfrontalière n’étaient toujours pas réunies. Six mois après ce ratage, les réunions ministérielles et les concertations d’experts se succèdent, mais rien de concret à l’horizon. Pas de quoi sabler le champagne donc, d’autant qu’en mars le Congolais Pierre Moussa, président de la Commission de la Cemac, a été obligé d’ordonner le déménagement provisoire du siège de Bangui à Libreville.
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Projets à l’arrêt, scandales à répétition et mauvaise gouvernance… La Cemac a beaucoup à se faire pardonner. L’organisation régionale n’est pas davantage parvenue à bâtir une union politique dotée d’une véritable vision pour entrer dans la compétition mondiale. Au contraire, l’Afrique centrale reste un véritable champ clos, bouffi d’orgueils nationaux. Particulièrement riche en ressources naturelles, cette partie du continent est engluée dans de persistantes rivalités byzantines et des querelles de leadership entre chefs d’État.
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L’organisation communautaire a longtemps pâti de la rivalité entre le président camerounais, Paul Biya, et son homologue gabonais, Omar Bongo Ondimba.
Ainsi, l’organisation communautaire a longtemps pâti de la rivalité entre le président camerounais, Paul Biya, et son homologue gabonais, Omar Bongo Ondimba. "Puisant généreusement dans une consistante rente pétrolière", le président gabonais s’est employé à disposer de la "maîtrise quasi absolue de l’agenda sous-régional, poussant Biya à y adhérer", explique Côme Damien Georges Awoumou, spécialiste des questions de géopolitique en Afrique centrale. Pour échapper à cette "toile" tissée par son ex-pair gabonais, Paul Biya s’est mis à déserter les sommets de chefs d’État "pour en neutraliser la portée", poursuit Awoumou. Dans le même temps, le Cameroun gelait ou contrecarrait les décisions de la Cemac dès qu’il les jugeait contraires à ses intérêts. Comme lors du sommet de N’Djamena du 14 décembre 2000, au cours duquel les chefs d’État décidèrent, contre l’avis des experts, de fixer à Libreville le siège de la Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale (BVMAC). Le Cameroun réagit promptement en lançant, en 2001, sa propre plateforme, le Douala Stock Exchange (DSX).
Une perte de 16,4 milliards de F CFA suite à des placements toxiques
Le décès, en 2009, d’Omar Bongo Ondimba a rebattu les cartes de la géopolitique sous-régionale. Mais pas au point de favoriser l’émergence d’un véritable espace de solidarité entre États. La première conséquence de la disparition du "Doyen" fut l’affaiblissement du lien Gabon-Congo. Par rapport à son père, Ali Bongo Ondimba se sent moins d’affinités avec Denis Sassou-Nguesso, le président congolais.
La seconde conséquence vient de la succession de scandales qu’Ali Bongo Ondimba, en prenant la présidence de la Cemac mi-2012, a dû gérer. En janvier 2010, la presse révèle que la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) a subi une perte de 16,4 milliards de F CFA (25 millions d’euros) à la suite de placements toxiques. Le gouverneur de l’institution, le Gabonais Philibert Andzembé, est mis en cause, et ces révélations mettent Ali Bongo Ondimba dans l’embarras.
Quelques mois plus tard, nouveau scandale : des détournements auraient été perpétrés au sein du Bureau extérieur de la Beac à Paris. C’en est trop, et la Guinée équatoriale saisit l’occasion de s’affirmer. Malabo commande un audit de toutes les institutions et exige un renforcement des procédures de contrôle de gestion. Jusque-là, l’ancienne colonie espagnole n’avait que peu d’influence sur la scène régionale, isolée, à l’instar de la Centrafrique, entre les deux blocs rivaux Gabon-Congo et Tchad-Cameroun. Membre du club des producteurs de brut depuis les années 2000, elle fait d’importants dépôts dans les coffres de la Banque centrale commune.
Dorénavant, la rotation par ordre alphabétique est de rigueur à la tête de tous les organes de la Cemac.
Sous la pression de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, le président équato-guinéen, les textes sont revus et corrigés. Le Gabon perd son privilège de nommer le gouverneur de l’institut d’émission. Dorénavant, la rotation par ordre alphabétique est de rigueur à la tête de tous les organes de la Cemac. À Libreville, on comprend vite que les temps ont changé.
La Cemac : technocratique et budgétivore
Reste que ce principe de rotation pose d’autres problèmes. Par exemple s’agissant des critères de sélection des candidats proposés par les pays membres. Pas sûr, en effet, que les États envoient leurs meilleurs cadres à la Cemac. De plus, la rotation aggrave la mauvaise gouvernance, quand, dans le même temps, l’impunité semble être devenue la règle : Maurice Moutsinga et Armand Brice Ndzamba, deux Gabonais cités dans le scandale des détournements à la Beac, n’ont pas été jugés et coulent une retraite paisible. La gestion du Camerounais Antoine Ntsimi à la tête de la Commission a révélé des pratiques peu orthodoxes, mais ne lui a pas valu la moindre réprimande. Il a été remercié en fin de mandat, en 2012, comme convenu, avec des indemnités importantes.
Ni les présidents de la Commission, ni les présidents en exercice ne rendent public leur programme lorsqu’ils prennent leurs fonctions, n’expliquent leur politique et ne rendent compte de leurs initiatives. De même, lorsqu’ils passent le relais, aucun bilan n’est fait. "La Cemac est à l’image des administrations de ses pays membres : technocratique et budgétivore. Ses dirigeants n’ont aucune obligation de résultat, et les salaires sont très élevés", se plaint un diplomate.
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La Cemac ne fait pas rêver les jeunes
En vingt ans, le projet communautaire a échoué à devenir celui des peuples. Il meuble les discussions entre bureaucrates sans répondre aux préoccupations des citoyens. La Cemac ne fait pas non plus rêver les jeunes, qui lui préfèrent le grand large. La mobilité intrarégionale est donc très faible, et quand les étudiants vont poursuivre leurs études dans un pays tiers, ils jettent plutôt leur dévolu sur l’Occident. Aucun programme de coopération universitaire digne de ce nom n’a été élaboré, alors que c’est justement ce type d’échanges qui favoriserait une meilleure cohabitation entre les peuples de la Communauté. Vingt ans après, le chemin vers l’intégration régionale reste long et tortueux.
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