Cemac : esprit es-tu là ?
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 7 juillet 2014 Lecture : 2 minutes.
Peut-on modeler une union sur le décalque d’un croquis colonial ? Oui, non, peut-être… La Cemac, on l’avait un peu oublié, est, dans ses frontières actuelles, Guinée équatoriale en sus, directement issue de l’AEF, cette Afrique centrale française elle-même jaillie de l’imagination baliseuse des fonctionnaires du défunt ministère des Colonies de la rue Oudinot, à Paris.
Ce découpage purement artificiel dura un bon demi-siècle avant de céder la place, dans l’euphorie panafricaniste des indépendances, à une Union des Républiques de l’Afrique centrale dont plus personne ne se souvient aujourd’hui, et pour cause : elle eut à peine un an d’existence, le temps que le rêve d’une fédération allant du Tibesti au fleuve Congo se brise sur la realpolitik néocoloniale de la France. Il fallait bien diviser pour continuer de régner.
Quatre ans plus tard, il y a tout juste cinquante ans, naissait au sein de ce même espace une Union douanière et économique, l’Udeac. Un succédané d’union béni par Jacques Foccart, mais une union quand même, portée sur les fonts baptismaux par deux chefs d’État, Ahmadou Ahidjo et Omar Bongo, qui, au regard de la génération suivante, n’ont aucun mal à apparaître rétrospectivement comme des visionnaires.
Encore trois décennies et voici qu’apparaît presque en catimini la Cemac, dont on célèbre cette année le vingtième anniversaire. L’Union est devenue Communauté, mais l’esprit n’y est toujours pas, comme le démontre une rapide revue de détail.
Idriss Déby Itno ? Le Tchad, qui n’a jamais caché ses critiques sur le fonctionnement de la Cemac et reproche à ses partenaires de ne pas l’avoir soutenu dans l’épreuve centrafricaine, lorgne avec insistance du côté de la Cedeao. Paul Biya ? Le Cameroun devrait être l’Allemagne de la région, voire sa locomotive, par son poids démographique. Il est hélas, et depuis longtemps, un partenaire dormant au comportement d’actionnaire minoritaire.
Teodoro Obiang Nguema et Ali Bongo Ondimba ? Guinée équatoriale et Gabon, les deux États les plus riches de la Communauté, hésitent entre le "qui paie commande" et la tentation du cavalier seul. Catherine Samba-Panza ? Ce n’est pas faire injure à la Centrafrique que de dire qu’elle ne pèse rien : elle le sait. Reste Denis Sassou Nguesso. Le président congolais, qui a encadré dans son bureau les photos des pères fondateurs du panafricanisme, est sans doute le seul à croire encore en une dynamique unitaire. Jusqu’à quand ?
Certes, beaucoup de regroupements régionaux dans le monde, à commencer par l’Union européenne, ne se portent pas bien. En Afrique, l’Union du Maghreb arabe n’existe pas, la Cedeao est malade de la crise malienne, la SADC de Robert Mugabe et l’East African Community, de la mésentente entre la Tanzanie d’une part, le Rwanda et l’Ouganda de l’autre. Partout, l’heure est aux replis identitaires, comme viennent de l’illustrer il y a peu les expulsions massives d’une rive à l’autre du Congo.
Pour bâtir une communauté, il faut un noyau dur de deux ou trois pays, des hommes d’État, une volonté politique et l’ancrage, dans l’inconscient collectif des peuples, d’appartenir à un même espace culturel et de partager un même destin. Sur tous ces points, la Cemac a encore un long chemin à parcourir.
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