France : Solférino, morne plaine

Après deux déroutes électorales, le Parti socialiste français est à terre. Une quarantaine de députés n’hésitent pas à mettre en cause la politique de François Hollande. Jusqu’où ira cette fronde ?

Emmanuel Maurel, député européen regrette que des « responsables du PS parlent comme la droite ». © PATRICK KOVARIK / AFP

Emmanuel Maurel, député européen regrette que des « responsables du PS parlent comme la droite ». © PATRICK KOVARIK / AFP

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 1 juillet 2014 Lecture : 4 minutes.

Le Parti socialiste est en crise. Depuis une semaine, une quarantaine de députés "frondeurs" tentent de s’opposer aux mesures, jugées par eux "de droite", que François Hollande veut faire inscrire dans un projet de budget rectificatif sous forme d’économies drastiques et d’améliorations de la compétitivité des entreprises, décidées en janvier. Comment pourrait-il en être autrement après les deux déculottées, aux élections municipales et européennes, que ces rebelles, comme nombre de militants, imputent au virage économique pris par le président de la République ?

Pour étouffer dans l’oeuf cette rébellion, Manuel Valls, le Premier ministre, a sonné le tocsin devant le conseil national du PS le 14 juin : "La gauche n’a jamais été aussi faible dans l’histoire de la Ve République". Ou encore : "Nous sentons bien que nous sommes arrivés au bout de quelque chose, au bout d’un cycle historique pour notre parti."

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Se souvenant des huées qui, en avril, avaient accueilli le chef de l’État à Carmaux, fief de Jean Jaurès, il a prévenu les contestataires que "la mort de la gauche" était une possibilité à ne point exclure, en raison notamment de la "multiplication des initiatives minoritaires qui feraient exploser le bloc central de la majorité".

"Le plus grand plan social de l’histoire du socialisme"

Car le PS est à terre. Il a perdu 150 villes de plus de 10 000 habitants. Il détenait 64 000 mandats municipaux, il n’en conserve que 30 000, et, selon toute vraisemblance, perdra le Sénat le 28 septembre. Un choc terrible pour un parti dont une étude du Centre de recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof) a montré en 2011 que la moitié de ses adhérents sont des élus locaux, des collaborateurs de ces derniers et des salariés des collectivités territoriales. Ce séisme électoral est "le plus grand plan social de l’histoire du socialisme", a résumé Jean-Jack Queyranne, président PS de la Région Rhône-Alpes.

La faute à Hollande, maugréent ces femmes et ces hommes réduits au chômage. Dans les années 2000, ledit Hollande, alors premier secrétaire du PS, leur avait fait gagner toutes les élections. En 2004, il avait même été proclamé "homme de l’année" en raison de ces victoires à répétition. Et voilà qu’il leur fait tout perdre en choisissant la rigueur à outrance et le soutien aux entreprises, deux thèmes qui n’appartiennent pas à la culture d’un parti par essence prosalarié et keynésien – donc dépensier. "On n’a pas été élus pour ça, on mène une politique qui n’est pas la nôtre", fulminent nombre de députés.

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À la différence des sociaux-démocrates allemands ou des travaillistes britanniques, les socialistes français n’ont accepté l’économie de marché que du bout des lèvres. Ils ne savent se positionner ni par rapport à l’Europe – Bruxelles leur apparaissant comme l’antre du libéralisme -, ni par rapport au reste du monde, où ils jugent que la finance fait la loi. "La politique de l’offre, les baisses de charges, la préférence donnée aux entreprises, la compétitivité, tout cela n’appartient pas au vocabulaire du peuple de gauche. L’emploi de ces mots par le gouvernement perturbe les repères des socialistes", commente Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l’université Lille-2.

Ce que confirme le député européen Emmanuel Maurel, l’un des chefs de file des rebelles, quand il regrette que "beaucoup trop de responsables du PS parlent comme la droite". Nombre de socialistes sont persuadés qu’ils ont perdu les élections parce que le PS n’était pas assez "à gauche". "Mais est-ce que la société française, qui vieillit et se trouve modelée par la mondialisation, serait en phase avec un discours de gauche ?" s’interroge Lefebvre.

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Les "frondeurs" souhaitent rééquilibrer le budget rectificatif par des amendements et proposent aux écologistes et au Front de gauche de les suivre. Cinquante milliards d’euros d’économies budgétaires et 41 milliards d’avantages divers pour les entreprises d’ici à 2017, c’est trop, disent-ils ; et 1,16 milliard de réductions d’impôts pour les ménages modestes, ce n’est pas assez. Ils veulent contraindre les entreprises à créer des emplois en contrepartie des allègements de charges qui leur sont consentis.

Valls refuse de ralentir le rythme des réformes

Le PS risque-t-il d’exploser sous l’effet d’une alliance de son aile gauche avec les Verts et le Front de gauche ? Quand on connaît les divisions intestines de ces deux partis, on ne peut qu’en douter. Le 25 juin, le budget rectificatif a été adopté sans coup férir. Campé en "Clemenceau de l’économie" qui tient tête aux grévistes de la SNCF comme aux intermittents du spectacle en colère, Valls refuse de ralentir le rythme des réformes.

Mais qu’en sera-t-il de l’élection présidentielle de 2017, scrutin qui commande toute la vie politique française ? À l’instar d’Emmanuel Maurel, de nombreux socialistes jugent que "la candidature de François Hollande n’est pas automatique". Surtout avec sa cote de popularité historiquement basse à 18 % d’opinions favorables. Mais le chef de l’État est convaincu qu’il conserve toutes ses chances.

Selon lui, Marine Le Pen, la présidente du Front national, sera bien présente au second tour, mais ce sera lui qui sera appelé à l’affronter – victorieusement. Pour trois raisons : la gauche de la gauche ne parviendra pas à s’unir contre lui ; la droite demeurera engluée dans ses scandales et sa guerre des chefs ; la situation économique devrait s’améliorer à partir de 2015.

L’un de ses proches ajoute : "N’oubliez pas que François Hollande est persuadé d’avoir de la chance." Il en aura besoin. Et son parti aussi.

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