Irak : les neuf vies du « diable roux »

L’ancien numéro deux du régime baasiste Izzat Ibrahim al-Douri et ses hommes feraient cause commune avec les jihadistes pour renverser le régime de Nouri al-Maliki.

Douri, en une d’un quotidien irakien en 2004. © Sabah Arar/AFP

Douri, en une d’un quotidien irakien en 2004. © Sabah Arar/AFP

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 4 juillet 2014 Lecture : 3 minutes.

Vingt fois donné pour mort, le "diable roux" de Mésopotamie ne brûle toujours pas en enfer. Dans la déferlante des combattants sunnites qui, sous les couleurs sombres de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), menace d’engloutir Bagdad, Izzat Ibrahim al-Douri, ancien numéro deux du régime de Saddam Hussein, et son "Armée des Naqshbandi" joueraient en effet un rôle de premier plan, ayant rallié aux jihadistes d’Abou Bakr al-Baghdadi les réseaux du dictateur exécuté.

Roi de trèfle dans le jeu de cartes des personnalités les plus recherchées distribué aux soldats américains, il était l’un des "douze salopards" qui dirigeaient l’Irak d’avant 2003, selon la terminologie de la CIA. Sa tête avait été mise à prix pour 10 millions de dollars. Né en 1942 près de Tikrit, ville natale de Saddam, il est l’un des rares survivants du coup d’État qui, en 1968, a porté le Baas au pouvoir à Bagdad.

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Parmi ses faits d’armes, la répression des insurrections du Sud chiite et du Nord kurde en 1991. Ses apparitions sont rares, et la leucémie dont il souffre depuis des années fait régulièrement croire à sa disparition, mais, en janvier 2013, une vidéo postée sur YouTube le met en scène – uniforme kaki et béret, avec drapeaux nationaux en arrière-plan – exigeant la déchéance du régime actuel.

Comment ce membre éminent du Baas, parti laïciste et nationaliste interdit depuis 2003, en est-il venu aujourd’hui à s’allier avec le suppôt d’un État transnational ultrasectaire ? Au-delà de la nostalgie de l’ancien régime de l’un et des ambitions califales de l’autre, c’est la haine commune pour le nouvel autocrate chiite Nouri al-Maliki qui a scellé ce mariage de la carpe et du lapin.

Qualifié par les jihadistes comme par les anciens baasistes de "safavide", du nom de l’ancienne dynastie perse qui a fait du chiisme une religion d’État et occupé une partie de l’Irak, l’actuel Premier ministre cristallise les rancoeurs d’une communauté sunnite minoritaire, de plus en plus marginalisée et humiliée depuis son accession au pouvoir en 2006. Cette année-là, Saddam Hussein était pendu et, prenant la tête du Baas, passé à la clandestinité, Douri créait le Haut commandement pour le jihad et la libération, coalition de mouvements hostiles à la présence américaine comme à l’influence iranienne chiite, et une milice de plusieurs milliers d’hommes, l’Armée des Naqshbandi.

Placée sous la protection de la voie soufie, à laquelle appartient son chef, elle était d’abord destinée à protéger les membres de la confrérie contre les exactions des sectaires d’Al-Qaïda et de l’EIIL, son avatar, mais aujourd’hui ses combattants font cause commune avec les jihadistes, obsédés par l’idée de chasser du pouvoir le Premier ministre Maliki, vu comme le pion d’un complot "américano-sionisto-safavide".

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Accrochages entre EIIL et Armée des Naqshbandi

Interrogé par le magazine Afrique Asie en mars 2014, Douri justifiait ainsi son alliance : "Les médias ont déformé mes propos lorsque j’ai dit que les combattants d’Al-Qaïda sont nos frères dans le jihad. J’avais ajouté : à la condition qu’ils cessent de s’en prendre aux civils, à la police et à l’armée, et concentrent leurs efforts sur la lutte contre les occupants et leurs suppôts. L’ennemi principal est l’Iran." Des frères au bord de la discorde, des accrochages entre EIIL et Armée des Naqshbandi ayant été signalés dans plusieurs localités du Nord peu après l’offensive conquérante des révoltés sunnites sur Mossoul et Tikrit.

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À l’image des insurgés syriens, qui avaient souhaité la bienvenue aux illuminés d’Al-Qaïda, Douri aura-t-il le temps de décréter la guerre à ses alliés extrémistes de l’EIIL ? Le 18 juin, l’agence iranienne – de propagande davantage que d’information – Irib annonçait, de source irakienne, que "Douri aurait été tué avec plusieurs de ses compagnons. Son corps aurait été évacué vers Tikrit et se trouverait dans un hôpital". Gageons que le "diable roux" prépare une nouvelle résurrection.

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