Du Sénégal à la Tunisie, ramadan et grande bouffe !

De l’assiette à la télévision, impossible d’échapper au ramadan, qui impose son rythme à l’ensemble de la communauté musulmane. Paradoxalement, au Sénégal, la période de jeûne est synonyme de hausse vertigineuse de la consommation. Un casse-tête pour l’État, qui doit s’assurer de la qualité de la marchandise et de la stabilité des prix.

Le Ramadan entraîne paradoxalement une hausse de la consommation. © MAHMUD TURKIA / AFP

Le Ramadan entraîne paradoxalement une hausse de la consommation. © MAHMUD TURKIA / AFP

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Publié le 8 juillet 2014 Lecture : 5 minutes.

Plus on jeûne… plus on mange. De Tunis à Dakar se vérifie l’axiome paradoxal du ramadan. "La hausse de la consommation des familles durant cette période est spectaculaire", témoigne Pascal Pouvrasseau, directeur commercial des supermarchés Casino au Sénégal.

Dans ce pays, le chiffre d’affaires réalisé par le groupe français lors du ramadan est comparable à celui des fêtes de Noël (soit une hausse de 50 % par rapport à la normale), ce qui est d’autant plus significatif que la demande ne porte que sur des produits alimentaires à prix relativement modique.

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Au Sénégal, l’éventail de produits dont la consommation explose est à peu près le même d’une année sur l’autre : dattes, lait, sucre, café, pain, beurre, fromage (gruyère ou emmental), fruits, pâte à tartiner, jus locaux, sodas, lait fermenté, pain, pâtes, charcuterie halal… Autant de denrées consommées au moment de la rupture du jeûne, auxquelles il faut encore ajouter les ingrédients (riz, poisson, viande de boeuf ou de mouton, poulet, légumes…) entrant dans la composition des plats traditionnels (tiep bou dien, tiep bou yap, thiou, mafé, yassa…) qui seront consommés plus tard dans la soirée.

Au Burkina Faso, les produits à base de mil sont à l’honneur. Au moment de l’iftar, on sert ainsi des bouillies de riz ou de mil au sucre, des beignets sucrés à base de riz ou de petit mil et diverses boissons dont le zoom-koom, un jus sucré à base de mil. Comme ailleurs, le repas du soir décline la gamme des plats nationaux les plus prisés : riz à la sauce (arachide, feuilles…), riz gras, tô (pâte à base de maïs ou de mil) à la sauce…

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Bouillies et plats en sauce se retrouvent également au Mali ainsi qu’en Mauritanie, où soupes et tajines ont également la part belle. En Guinée, chaque région dispose de traditions culinaires singulières, des classiques de la cuisine peule dans le Fouta-Djalon aux plats à base de poisson en Basse-Côte.

Une explosion de la consommation d’oeufs proche de 100%

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Au Maghreb, si la palette culinaire est sensiblement différente, la tendance est comparable. En Tunisie, "la consommation de produits alimentaires augmente vertigineusement au cours du mois saint", indique l’Institut national de la consommation. Selon les statistiques officielles, l’explosion de la demande concerne notamment le lait (+ 23 %), les yaourts (+ 69 %), les oeufs (+ 98 %) et les viandes bovine (+ 50 %), ovine (+ 26 %) et blanche (+ 38 %). Un phénomène encore accentué lorsque, comme cette année, le ramadan coïncide avec la haute saison touristique.

Quasiment absentes en Afrique subsaharienne, les pâtisseries encombrent les étals en Algérie, au Maroc et en Tunisie.

Quasiment absentes en Afrique subsaharienne, les pâtisseries encombrent les étals en Algérie, au Maroc et en Tunisie. Dans ces pays, marchés et commerces regorgent également d’épices (curcuma, paprika, ras el-hanout, coriandre…), d’amandes, de graines de sésame, de fruits secs, d’olives, de crêpes et de galettes, de bricks, de pastillas ou des divers ingrédients (pois chiches, lentilles, tomates, céleri, petits pois…) qui viendront composer les soupes (harira, chorba).

Pour toutes ces denrées, l’achalandage n’est pas seulement l’affaire des commerçants. Pendant le mois sacré, sécuriser la demande relève quasiment d’un enjeu de sécurité nationale. Au Maroc, début juin, Abdelilah Benkirane en personne a présidé la commission interministérielle chargée du suivi de l’approvisionnement des marchés. Le Premier ministre s’est voulu rassurant : le royaume est pourvu en quantité suffisante de blé, de céréales et d’épices.

Quinze jours plus tôt, Mohamed El Ouafa, le ministre délégué chargé des Affaires générales, avait même indiqué que l’offre dépasserait de loin la demande, notamment pour le sucre, les dattes ou les tomates en conserve.

Au Sénégal aussi, les autorités se préoccupent de l’approvisionnement pour les produits incontournables. "Nous travaillons avec les principaux opérateurs sénégalais, assure Ousmane Mbaye, le directeur du Commerce intérieur. Début juin, nos équipes ont évalué les stocks disponibles avec la Compagnie sucrière sénégalaise, car en période de ramadan la hausse de la demande varie entre 20 % et 30 %."

Autre produit sensible au pays du tiep bou dien : le riz. "Des tensions sont apparues récemment à cause d’une cargaison maritime retardée, poursuit Ousmane Mbaye. Nous avons suivi cela de près avec les importateurs concernés, pour être sûrs que la situation revienne à la normale avant le début du ramadan."

En cette période où abstinence rime avec abondance, la tentation spéculatrice est grande.

Pénurie organisée pour la spéculation

En Algérie, une commission mixte réunissant des représentants des ministères du Commerce, de l’Agriculture et des Douanes a été mise en place en 2012 pour réguler le marché des produits alimentaires. Sucre, huile, lait, pois chiches, fruits et légumes, viande congelée… Tous les produits sensibles font l’objet d’une surveillance accrue portant sur l’état des stocks, la qualité des produits proposés et… le niveau des prix.

Car en cette période où abstinence rime avec abondance, la tentation spéculatrice est grande. Année après année, les mêmes réflexes sont observés au nord comme au sud du Sahara. Des grossistes organisent la pénurie et écoulent leurs stocks en petites quantités en répercutant sur les prix la distorsion entre l’offre et la demande. Accessoirement, des opérateurs indélicats en profitent pour tenter d’écouler des stocks de marchandises frelatées. "Ce qui est déplorable, c’est que la majorité des grands commerçants qui spéculent pendant le ramadan sont musulmans !" s’offusque un père de famille burkinabè.

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Dans la plupart des pays concernés, l’État veille donc au grain. "Le gouvernement est vigilant pour éviter toute augmentation des prix des produits de première nécessité", confirme Momar Ndao, président de l’Association des consommateurs du Sénégal. À Dakar, des produits tels que le riz, l’huile et le sucre font ainsi l’objet, depuis 2013, d’une homologation des prix déterminée par les autorités.

Et au Mali, Abdel Karim Konaté, le ministre du Commerce, s’est engagé à mettre 20 000 tonnes de sucre sur le marché, une semaine avant le mois de carême, "afin de casser les prix".

En Algérie, en cas d’infraction ou de manoeuvre spéculative, les opérateurs économiques sont passibles de sanctions allant de la saisie des produits à la fermeture des locaux, voire à des poursuites judiciaires. Malgré tout, à en croire l’Union générale des commerçants et artisans algériens, "on ne peut pas garantir à 100 % la stabilité des prix des légumes secs pendant le ramadan, cela nécessiterait une production nationale suffisante pour répondre aux besoins des consommateurs". Ce qui est loin d’être le cas.

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