Maroc – France : le coeur n’y est plus
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 30 juin 2014 Lecture : 2 minutes.
Il en va des crises larvées comme des maladies honteuses : elles finissent toujours par dégénérer. En apparence, le lourd malaise qui pèse depuis plus de quatre mois sur la "relation d’exception" franco-marocaine se résume à une succession d’incidents, qui, pris isolément, n’ont rien d’ingérable. De l’irruption d’une escouade de policiers en gilet pare-balles à la porte de la résidence neuilléenne de l’ambassadeur du royaume en France à celle d’un ex-capitaine exalté sur le seuil de la chambre d’un général en soins dans un hôpital militaire parisien, en passant par la fouille au corps d’un ministre des Affaires étrangères en transit à l’aéroport de Roissy, la collection de coups de canif dans le contrat est certes désagréable, mais pas irréparable. Le problème surgit lorsque la succession prend l’allure d’une accumulation. La partie marocaine, qui, en guise de riposte, a suspendu sine die toute coopération judiciaire avec la France, s’estime ainsi victime d’une sorte de délit de nationalité, sur l’instigation d’un actif lobby acharné à brouiller le partenariat entre les deux pays. D’où sa réaction, émotive, quelque peu épidermique, mais sans nul doute sincère. Si ce type de conflit est en effet souvent alimenté, voire suscité pour des raisons de politique intérieure – Hassan II ne s’en était d’ailleurs pas privé -, ce n’est ici nullement le cas. Rien, en ce début de ramadan 2014, ne menace la stabilité et la popularité de la monarchie marocaine.
Le grand tort de Paris dans cette affaire a été de sous-évaluer dès le départ, et non sans une certaine désinvolture, l’ampleur du choc et de croire que l’on pouvait au plus vite et par le haut, via un communiqué commun, tourner la page. François Hollande a eu beau tenter de s’en expliquer au téléphone, à deux reprises au moins, avec Mohammed VI, puis réunir les trois ministres concernés (Affaires étrangères, Justice, Défense) pour déminer le terrain, le mal était fait. Rabat exige désormais que la convention judiciaire bilatérale soit remise à plat, afin de faire en sorte que la "gifle" de Neuilly ne puisse plus se reproduire – une garantie qu’aucun pouvoir français, a fortiori lorsqu’il est faible, ne saurait lui offrir. Si le noyau dur du couple franco-marocain, fait d’échanges humains, commerciaux et culturels exceptionnels, demeure pour l’instant intact, et si rien n’indique que la position française sur le Sahara, globalement favorable au Maroc, soit en passe d’évoluer, c’est bien à une sévère crise de foi au sommet que l’on assiste dans la mesure où l’un des deux partenaires, le roi du Maroc, ne fait plus confiance à l’autre, le président français. Comme beaucoup de ses compatriotes de gauche, comme Lionel Jospin ou Claude Cheysson avant lui (mais en mode tempéré et subliminal), François Hollande nourrit un certain tropisme pro-algérien, connaît mal le royaume et a un problème non résolu avec l’idée même de monarchie, confondue avec les riads et les palaces que fréquentaient ses deux prédécesseurs. Il faudra donc s’y habituer : entre le Maroc et la France, si la raison perdure, le coeur n’y est plus. Tout au moins pour les trois années à venir…
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