L’Égypte, pays africain

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 3 juillet 2014 Lecture : 4 minutes.

Vous avez observé comme moi les premiers gestes du nouveau président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, et ses premiers pas hors d’Égypte.

Mercredi 25 juin, en route pour le sommet de l’Union africaine de Malabo, il a passé plusieurs heures en Algérie. Voyage improvisé mais significatif…

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Je vous en avais prévenus : l’homme est on ne peut plus différent de ses prédécesseurs égyptiens et tout autant de ses pairs arabes ou africains, voire du reste du monde.

Hassanein Heikal, qui fut l’inamovible conseiller du président Nasser, et qui, à 90 ans, a toujours bon pied bon oeil, dit de Sissi, auquel il est très favorable, "Pour l’Égypte de 2014, il est le président de la nécessité." Traduisez : l’homme qu’il faut pour écrire un nouveau chapitre de l’histoire du pays, le sortir de la pauvreté, lui redonner une place de choix dans le monde arabe, en Afrique et parmi les grandes puissances.

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Sissi est un populiste et un transgresseur de tabous : le montre éloquemment sa décision spectaculaire "de donner à son pays la moitié de son salaire et de ses biens", de faire ouvrir à la Banque centrale un compte pour recevoir les dons de ceux qui voudront suivre son exemple.

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L’invitation est nette et, soyez-en certains, ils seront nombreux, Égyptiens ou non, à l’imiter.

Sur sa lancée, il a rejeté le budget que le gouvernement lui a présenté et lui a enjoint de se remettre à l’ouvrage.

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Il y a tout juste un an, "à la demande du peuple", Sissi, alors chef de l’armée, destituait le président Morsi, que ce même peuple avait élu une année auparavant. Sissi a donc été putschiste au sens littéral du terme…

Élu à son tour, avec deux fois plus de voix que Morsi, il est aujourd’hui reconnu par la communauté internationale – et par l’Union africaine – comme le nouveau président légal et légitime de son pays.

Il faut dire qu’il n’est pas le seul dans ce cas étrange : parmi les présidents africains réunis en "sommet" à Malabo, une demi-douzaine reconnus par l’Union africaine "comme démocratiquement élus" sont d’anciens putschistes.

Plus nombreux encore sont les chefs d’État africains, parmi les plus considérés, qui ont modifié la Constitution de leur pays – ou sont en passe de le faire – pour se maintenir au pouvoir.

La bataille des démocrates contre les coups d’État militaires et contre le maintien abusif des chefs d’État au pouvoir n’est décidément pas gagnée. On peut même affirmer qu’elle est (provisoirement) perdue.

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Sissi, lui, a déjà déclaré sans ambages que son pays n’est pas mûr pour la démocratie et qu’en tout cas sa priorité, à lui, Abdel Fattah al-Sissi, n’est pas d’instaurer la démocratie.

On ne comprendra rien à l’homme et à sa ligne de conduite si l’on ne prend en compte ce principe cardinal de sa doctrine : en Égypte, la démocratie, ce n’est pas maintenant mais seulement dans dix ou vingt ans.

Ceux qui n’acceptent pas ce postulat, Égyptiens ou non, trouveront beaucoup à redire à ce qu’il fera dans les prochains mois.

On peut le craindre ou s’en accommoder, mais selon toute probabilité, le postulat Sissi fera école…

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Le deuxième postulat de la "doctrine Sissi" est que l’Égypte est un grand pays non seulement arabe mais tout autant africain et mondial.

Qu’il ait choisi l’Algérie pour son premier voyage et qu’il ait tenu à apparaître en force au sommet de l’Union africaine à Malabo indiquent que l’Égypte du président Sissi ambitionne de redevenir un des grands pays d’Afrique du Nord et une puissance africaine.

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En Algérie, le président égyptien s’est longuement entretenu avec son grand aîné algérien, vétéran des hommes d’État arabes et africains.

Abdelaziz Bouteflika, qui est, lui, à la fin de son parcours présidentiel, n’est pas, comme certains le pensent, un président "pour la forme". Selon les témoignages les plus directs que j’ai pu recueillir, il est, nonobstant son état de santé, le vrai président de l’Algérie : ses collaborateurs, dont le Premier ministre, ne sont que les exécutants de ses décisions.

C’est avec cet homme-là, dont la voix est faible mais l’esprit intact, que le président égyptien s’est entretenu longuement. Quatre sujets ont été traités : l’islamisme politique, la Libye, l’aide financière de l’Algérie à l’Égypte, les relations de chacun des deux pays avec l’Amérique.

Nous verrons dans les prochains mois le degré de coopération que ce voyage aura permis d’instaurer.

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Il n’est pas inutile de le rappeler : cette Égypte que le président Sissi et son gouvernement vont s’efforcer de remettre sur les rails est un pays que sa forte croissance démographique et sa faible croissance économique ont maintenu dans la pauvreté.

Le quart de son budget est affecté aux subventions à l’énergie et aux produits de première nécessité pour qu’ils restent accessibles au plus grand nombre ; elle a besoin d’être sous perfusion permanente : 1,5 milliard de dollars par mois, pour équilibrer ses comptes extérieurs.

Nul ne sait comment résoudre le problème qu’elle pose à ses dirigeants et au monde. Ou plutôt si : il lui faut, outre la paix dont elle bénéficie depuis le traité conclu avec Israël il y a plus de trente ans, deux décennies de bonne gouvernance. Elle ne les a pas eues jusqu’ici. Si son nouveau président pouvait les lui assurer tout en donnant du travail aux Égyptiens et en faisant reculer sensiblement la pauvreté et les inégalités, on lui pardonnerait de différer l’avènement de la démocratie.

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Le peuple égyptien a une tradition de patience, et son nouveau président lui a promis que son sort commencerait à s’améliorer dans deux ans.

Les Égyptiens attendent beaucoup et probablement trop de leur "président de nécessité" ; les amis de l’Égypte, parmi lesquels il faut compter l’Algérie, l’aideront à mettre ses concitoyens au travail et à les faire patienter.

Nous saurons dans quelques mois si l’Égypte est bien gouvernée et si elle est sur la bonne voie.

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