Exposition : kaléidoscope et crayons de couleur
À Genève, le Musée des Suisses dans le monde accueille une sélection d’oeuvres signées par des artistes africains de renom. Comme une introduction à la vive créativité du continent.
« La liberté de rire s’impose à tout citoyen », clamait Frédéric Bruly Bouabré. © F. Bruly Bouabré / Genève
C’est une première ! Jusqu’au 6 juillet 2014, le Musée des Suisses dans le monde, installé dans le très douillet château de Penthes, à Genève, accueille l’Afrique. Non pas l’Afrique de la misère et des clichés, mais une Afrique chamarrée vue par une vingtaine de ses meilleurs artistes. Selon Adelina von Fürstenberg, commissaire de l’exposition "Ici l’Afrique" et directrice de Art of the World, il s’agit d’insister "sur la nécessité impérieuse pour la jeune génération de continuer le combat de Mohamed Ali, d’avoir de l’imagination et des rêves, des espoirs et des opportunités, de vouloir investir ses forces vives dans la vision d’un monde meilleur". En vrai, "Ici l’Afrique" est un pot-pourri d’oeuvres remarquables entre lesquelles il serait vain de chercher un lien ou une narration. Plusieurs générations y sont représentées, mais sans aucune prétention chronologique. En matière de photographie par exemple, les incontournables Malick Sidibé (Mali) et J.D.’Okhai Ojeikere (Nigeria), pionniers en noir et blanc de la photo africaine, côtoient le très contemporain Pieter Hugo (Afrique du Sud).
Des voiles de bateau en wax
De même, du côté de la peinture, "Ici l’Afrique" mêle allègrement les grands tableaux de Chéri Samba (République démocratique du Congo), les aquarelles de Barthélémy Toguo (Cameroun) et les travaux sur carton d’Omar Ba (Sénégal). Côté sculpture, Gonçalo Mabunda (Mozambique) présente ses habituelles compositions réalisées avec des armes déclassées et soudées, Romuald Hazoumé (Bénin) ses masques-bidons, et Yinka Shonibare (Nigeria) une superbe méduse – en réalité une maquette de bateau prise dans une tempête et dont les voiles sont toutes de wax. Ici l’Afrique est, si l’on veut, un mini "Africa Remix", du nom de l’exposition qui s’est tenue à Paris, notamment, en 2005. Les oeuvres exposées dans l’écrin d’une demeure datant du XIVe siècle étant pour la plupart de qualité, personne ne boudera son plaisir : il s’agit d’une bonne et kaléidoscopique introduction à l’art contemporain africain – si tant est qu’une telle catégorie existe.
L’humanité est réunie grâce à l’art
Mais si "Ici l’Afrique" suscite un intérêt particulier, c’est surtout pour la pièce qui est consacrée à l’artiste ivoirien Frédéric Bruly Bouabré, décédé le 28 janvier 2014. Patrick Fuchs, doyen du CFP Arts appliqués de Genève et collectionneur d’art, a prêté pour l’occasion toute une série de dessins. Et en particulier la très touchante série "La liberté de rire s’impose à tout citoyen pour mener son peuple vers le bien-être" réalisée en 2012. À savoir 200 joyeux dessins colorés au crayon de couleur où des Togolais, des Mauritaniens, des Gabonais, des Tunisiens, etc., lèvent le poing pour proclamer leur droit au rire.
Avant de mourir, Bruly Bouabré avait dessiné l’affiche de l’exposition et proclamé "Ici l’Afrique colore Genève ! Oui le monde deviendra la proie de gigantesques crayons de couleur." Il avait aussi répondu à des questions envoyées par Patrick Fuchs, et ce qui sera sa dernière interview, publiée dans le catalogue, permet d’entendre une ultime fois la voix de ce personnage extraordinaire qui fascina Théodore Monod. "Les crayons, cela permet de dessiner, et c’est grâce à eux que Bruly a été connu du monde, déclarait-il. Cette exposition est la parabole d’un monde où la distinction Nord-Sud n’a plus d’importance, où l’humanité est réunie grâce à l’art à Genève." Que demander de plus, au fond ?
