Musique : mort de Marc-Antoine Moreau, éternel découvreur de talents

Celui qui a révélé au monde de nombreux artistes africains, dont le célèbre duo malien Amadou & Mariam, est décédé le mardi 5 décembre au soir, à Paris, des suites de complications consécutives à une crise de paludisme.

Le producteur français Marc-Antoine Moreau. © Capture d’écran / Dailymotion / Paris Culture

Le producteur français Marc-Antoine Moreau. © Capture d’écran / Dailymotion / Paris Culture

KATIA TOURE_perso

Publié le 8 décembre 2017 Lecture : 4 minutes.

On l’appelait « Marco ». Depuis plus de 20 ans, il s’illustrait dans la découverte de talents musicaux sur le continent africain, qu’il s’attachait à inscrire hors du créneau des « musiques du monde ». Son credo : la musique africaine est toute aussi actuelle que les autres, elle n’a pas à s’inscrire à part. Raison pour laquelle, dès sa découverte d’Amadou & Mariam dans les années 1990, il s’emploie à ce que le duo malien multiplie les collaborations, explore moult styles musicaux afin de toucher tant le public africain qu’international.

« La musique africaine a perdu un grand manager et un grand producteur. Il est venu nous chercher au Mali et nous avons travailler avec lui pendant plus de 20 ans. Il nous a propulsé sur la scène internationale et s’est beaucoup battu pour nous. Il a occupé une grande place dans notre vie et nous ne pourrons jamais l’oublier », déclare à J.A. le chanteur Amadou Bagayoko du duo Amadou & Mariam.

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Haro sur le label world

En juin dernier, alors qu’il approchait de la cinquantaine, il avait été nommé Directeur général d’Universal Music Africa dont le siège est situé à Abidjan. « Universal n’aurait pas pu trouver meilleure personne pour assurer une telle mission, soit développer et structurer la musique sur le continent », confirme François Gouverneur, son complice de près de dix ans, et manager du groupe Jupiter & Okwess – dont Marc-Antoine Moreau était le producteur depuis 2010.

Nous avons perdu bien plus qu’un directeur général

« Marco était capable d’aller à la recherche d’artistes inconnus, même dans leur propre pays, dans des coins très reculés. Il intégrait leur terreau traditionnel à une vision moderne et actuelle ». De quoi effacer la ligne de démarcation entre le Nord et le Sud. De quoi mettre à mal le label world.

« Il était quelqu’un de très passionné et de très généreux », affirme Franck Kacou, directeur de production au sein d’Universal Music Africa. « En sept mois, il a réussi à fédérer une véritable équipe autour du projet ambitieux qu’est cette structure encore jeune. Nous avons perdu bien plus qu’un directeur général. Nous sommes plus motivés que jamais et nous avons à cœur de mener cette aventure avec succès. C’est en cela que nous pourrons lui rendre un bel hommage ». Marc-Antoine Moreau venait tout juste de mener « l’une de ses grandes batailles » en signant Toofan, groupe d’afropop togolais, sur le label.

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Un défricheur énergique 

Ses proches, les artistes qu’il a révélés et accompagnés sont unanimes : ce défricheur tout-terrain de pépites africaines, du Mali au Congo, de Madagascar au Maroc, en passant par la Somalie ou le Sénégal, est parti bien trop tôt. Et surtout, il débordait d’énergie. « Il n’avait pas froid aux yeux. C’était un aventurier qui avait la tête bien faite, très exigeant quant à ce qu’il produisait. Il nous faisait travailler jusqu’au bout, toujours à la recherche de la bonne note », se souvient le chanteur et musicien congolais Jupiter Bokondji, à la tête du groupe Okwess International. C’est bien grâce à Marc-Antoine Moreau que ce dernier se retrouve sur le devant de la scène internationale, en 2010, avec Hotel Univers, un album retentissant, aux accents modernes et éclectiques, bien loin de la rumba congolaise.

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« En 2007, Marco a débarqué à Kinshasa avec toute une bande de musiciens anglais comme Damon Albarn et Robert Del Naja du groupe Massive Attack », raconte encore Jupiter Bokondji. L’accompagnaient également Tony Allen, Amadou et Mariam ou le groupe de hip-hop américain De La Soul entre autres pointures musicales et producteurs d’envergure. Tout ce beau monde avait fait le voyage après avoir vu La danse de Jupiter, ce documentaire réalisé en 2006 par Renaud Barret et Florent de la Tullaye, également coproducteur de son état et fondateur de l’association La Belle Kinoise, basée à Kinshasa.

Africa Express, une aventure itinérante

C’est qu’à cette époque, Marco, producteur quasiment autodidacte, est à la tête du label All Other (qui a produit, outre Amadou & Mariam, des artistes comme les Sénégalais Chérif Mbaw et Nuru Kane, le Marocain Hamid El Kasri, la chanteuse Malienne Mamani Keita, le joueur Guinéen de kora Ba Cissoko, ou, plus récemment, les rockeurs Maliens Songhoy Blues, pour ne citer qu’eux). Mais il est, surtout, le co-fondateur du collectif et festival itinérant Africa Express avec, notamment, le sémillant Damon Albarn.

Africa Express avait pour but, et encore aujourd’hui, de décloisonner la musique africaine, la faire voyager au-delà des frontières du continent

L’idée de ce projet, sorte de laboratoire expérimental autour des musiques africaines, né il y a plus de dix ans, est de permettre à des artistes africains de jouer et se produire dans le cadre de grands festivals aux côtés d’artistes internationaux. « Africa Express avait pour but, et encore aujourd’hui, de décloisonner la musique africaine, la faire voyager au-delà des frontières du continent », note Florent de la Tullaye. Marco, grand connaisseur du continent, était la tête pensante de ce collectif.

Musique africaine, musique universelle

Pour Mariam Doumbia, du duo Amadou & Mariam, le producteur a surtout œuvré pour que la musique africaine devienne une musique universelle. « Il nous a accompagnés partout, notamment pour aller voir Barack Obama », rappelle-t-elle, profondément ébranlée par l’annonce du décès.

« Il s’est battu corps et âmes pour l’essor d’une certaine forme de culture panafricaine », s’émeut également le musicien malien Cheick Tidiane Seck. « C’était un ami dont je ne peux que saluer la mémoire. Il avait du flair, une forte sensibilité. Avec Jupiter et Songhoy Blues, il ne s’est pas trompé. Il est aussi celui qui m’a poussé à enregistrer mon tout dernier disque, Guerrier, en solo ».

Les obsèques de Marc-Antoine Moreau auront lieu le mercredi 13 décembre au Cimetière du Père-Lachaise à Paris. Elles seront suivies d’un concert en son hommage, à la salle parisienne Le Hasard Ludique, assuré par l’un de ses derniers coups de cœur : le trio malgache Kristel.

Peu avant de prendre les rênes d’Universal Music Africa, Marc-Antoine Moreau travaillait d’ailleurs sur un projet des plus vibrants : un duo entre Mounir Troudi, chanteur de jazz tunisien, et le fameux musicien britannique Brian Eno. C’est dire à quel point, pour lui, la musique était dépourvue de frontières.

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