États-Unis : Barack Obama, back to Irak…

Barack Obama n’avait aucune intention de replonger dans le bourbier moyen-oriental. L’offensive jihadiste en cours va l’y contraindre. Reste à savoir sous quelle forme.

Manifestation de soutien aux combattants sunnites de l’EIIL à Mossoul, le 16 juin. © AP/SIPA

Manifestation de soutien aux combattants sunnites de l’EIIL à Mossoul, le 16 juin. © AP/SIPA

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 25 juin 2014 Lecture : 5 minutes.

Acheminés en Irak pour abattre un Saddam Hussein accusé à tort de soutenir Al-Qaïda, des dizaines de véhicules de transport de troupes américains frappés de l’étendard noir de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) sillonnent aujourd’hui le nord et l’ouest du pays.

En moins de six mois, le plus inquiétant avatar de la nébuleuse terroriste s’est emparé du tiers du pays et, après avoir conquis Mossoul, le 10 juin, menace désormais Bagdad. L’armée américaine, qui a perdu 4 400 hommes en Irak, a achevé son retrait fin 2011. Mais la crainte d’un effondrement de l’État irakien pousse le "gendarme du monde" à l’action. Ce qui pose naturellement beaucoup de questions.

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1. Que peut faire Obama ?

Les réponses américaines à la crise sont, en théorie, nombreuses. Mais le sont-elles tant que ça ? Élu sur la promesse d’achever le retrait des troupes d’Irak et d’Afghanistan, le président américain a répété qu’il n’enverrait pas de troupes au sol contre l’EIIL. Fourniture de renseignements ; aide à la formation des troupes ; appui aux troupes kurdes (seules capables de résister aux jihadistes) ; coordination d’une opération armée régionale ; feu vert donné à l’ennemi iranien de venir en aide à un allié commun…

On en est réduit à imaginer les hypothèses passées en revue dans le secret du cabinet présidentiel. Mais la plus souvent évoquée est celle de frappes aériennes. Nouri al-Maliki, le Premier ministre irakien, y est d’ailleurs favorable.

Membre de l’International Crisis Group (ICG), Peter Harling appelle les États-Unis à la prudence. Sans illusions. "Je m’attends, hélas, à ce qu’ils tombent dans le panneau, et que, convaincus que les jihadistes sont sur le point de s’emparer de Bagdad, ils déclenchent des frappes éventuellement combinées avec une intervention iranienne. Cela ne pourrait que faire le jeu de l’EIIL, qui tire sa force des erreurs de l’adversaire." De telles frappes seraient certes capables d’arrêter une colonne jihadiste, mais seraient inefficaces voire contre-productives dans les zones urbaines contrôlées par l’EIIL

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2. Une solution politique est-elle possible ?

Obama l’a dit : "Sans perspective politique, toute action militaire est vouée à l’échec." Harling est plus précis : "Il faut s’interroger sur le bilan de Maliki. Cela fait des années qu’il s’acharne à détruire ce que les États-Unis ont mis en place et à démanteler ce qui restait de l’État." Premier ministre depuis 2006, ce chiite pratique une politique de plus en plus discriminatoire à l’encontre des sunnites (35 % de la population). Fin 2011, le retrait américain lui a laissé les mains libres pour accroître la répression. Résultat : les manifestations exigeant son départ se sont multipliées dans les régions sunnites.

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En janvier 2014, l’EIIL s’est emparé sans coup férir de Fallouja et de Ramadi, foyers sunnites de l’insurrection antiaméricaine de 2006. Par la suite, l’irruption des jihadistes à Mossoul et à Tikrit a été vécue comme une libération par nombre de sunnites. "Les États-Unis doivent dire ce qu’ils sont prêts à faire sur le plan militaire, explique Harling. Mais ils doivent aussi définir le rôle de leurs éventuels partenaires : une armée irakienne qui occupe le terrain, une police qui soit capable de prendre la relève et ne soit pas détestée, un système politique à qui les sunnites reconnaissent un minimum de légitimité…" Mais ont-ils les moyens de contraindre Maliki à changer de politique ?

>> À lire aussi : Obama envoie des conseillers militaires et appelle Maliki au dialogue

3. Vers une coopération avec l’Iran ?

La clé du casse-tête irakien se trouve peut-être à Téhéran. Chef de file du monde chiite, l’Iran patronne l’Irak de Maliki et la Syrie d’Assad. Son antagonisme avec l’Arabie saoudite sunnite est sans doute l’une des causes des désordres régionaux. Le 14 juin, Hassan Rohani, son président, n’a pas exclu de coopérer avec les Américains pour peu qu’ils se décident à "combattre les groupes terroristes en Irak et ailleurs" – allusion aux groupes jihadistes syriens.

"Nous sommes ouverts aux discussions si l’Iran s’engage à respecter la souveraineté de l’Irak et la capacité de son gouvernement à se réformer", lui a répondu John Kerry, le secrétaire d’État. La restriction n’est pas inutile, puisque des unités des Gardiens de la révolution se trouveraient déjà en Irak… Une telle intervention offrirait un sursis à Maliki. À plus long terme, elle aurait pour résultat inéluctable de renforcer les dissensions entre communautés. Kerry voudrait donc que Téhéran convainque Maliki de résoudre la crise politico-confessionnelle à l’origine du désastre.

>> À lire aussi : John Kerry en mission impossible au chevet de l’Irak

Les négociations de Vienne sur le nucléaire iranien ont repris le 16 juin. Peuvent-elles servir de cadre à une telle coopération ? Des contacts ont été pris, mais, souligne Karim Bitar, de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), "Washington aura du mal à obtenir de Téhéran ce qu’il souhaite en Irak tout en avançant sur le dossier nucléaire. Car les Iraniens savent qu’ils sont en position de force !"

4. Et la Syrie ?

D’autres analystes, comme l’universitaire français Thomas Pierret, plaident pour une aide américaine à l’insurrection syrienne. Dirigée par Abou Bakr al-Baghdadi depuis son siège syrien de Raqqa, l’offensive de l’EIIL est une conséquence de la guerre qui fait rage dans ce pays. Combattant davantage l’opposition armée que les troupes d’Assad, ses jihadistes s’y sont aguerris, armés et enrichis.

L’action des rebelles syriens contre l’EIIL peut entraver l’afflux de volontaires étrangers. Il n’existe pas d’alternative crédible à l’armement des composantes modérées de l’insurrection. C’est vers cette politique que s’orientent les États-Unis, mais il faudra plus que quelques missiles antitanks pour combattre efficacement le régime de Damas et les jihadistes de l’EIIL.

5. Est-ce une conséquence de l’invasion américaine de 2003 ?

Le très va-t-en-guerre Tony Blair, à l’époque Premier ministre britannique, s’en lave ostensiblement les mains. Sur son site, il estime que "la cause fondamentale de la crise se trouve dans la région, non à l’extérieur". Quant aux conservateurs américains, ils préfèrent l’attribuer à l’attentisme d’Obama plutôt qu’à l’interventionnisme de son prédécesseur. Karim Bitar n’est pas d’accord.

Pour lui, "même si Obama a commis un certain nombre d’erreurs en Irak, la responsabilité principale incombe à ceux qui ont déclenché la guerre en 2003". Le président américain se retrouve pris dans le piège irako-syrien. Même si son intention était de s’en retirer, il va devoir consacrer beaucoup de temps et d’énergie au Proche-Orient.

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