Maroc : migrants sur liste d’attente
Lancée le 1er janvier, la campagne de régularisation des sans-papiers se heurte à des critères trop contraignants. Et à la volonté des intéressés de rejoindre coûte que coûte l’Europe.
La fatigue et l’angoisse se lisent sur son visage émacié. Omar Sangary, 27 ans, est malien. Il ne sait plus – ou feint de ne pas savoir – quand il a quitté Bamako. Il se souvient seulement être entré illégalement au Maroc le 17 février par Dakhla, à 650 km au sud de Laayoune. Lorsqu’il se rend, en cette fin mai, à la wilaya de Tanger, accompagné d’un camarade ivoirien, pour entreprendre les démarches nécessaires à l’obtention d’un titre de séjour, il est un peu déboussolé.
À l’accueil, un militaire lui indique l’un des 84 bureaux des étrangers que compte le pays depuis le lancement, le 1er janvier, à l’initiative de Mohammed VI, après la remise d’un rapport alarmant du Conseil national des droits de l’homme (CNDH), d’une campagne de régularisation exceptionnelle d’une durée d’un an pour faire face à l’afflux de clandestins, estimés à quelque 50 000.
Derrière son bureau en bois massif, Nabil Bennani, responsable du service, interroge Sangary sur sa vie, son périple à travers le désert, ses projets… "Je jouais en première division au Mali. Je suis venu au Maroc pour jouer au foot, mais pour trouver un club, j’ai besoin d’une carte de séjour", balbutie-t-il dans un français hésitant, tout en manipulant avec habileté plusieurs téléphones et cartes SIM pour transmettre un numéro valide aux autorités. Son dossier sera examiné dans deux mois par une commission composée de fonctionnaires de la wilaya et des services de sécurité et de renseignements, ainsi que de deux représentants de la société civile.
Mais personne ne se fait d’illusions. Sa demande n’a aucune chance d’aboutir, car il ne peut justifier de cinq années de présence continue sur le territoire marocain. "Cette régularisation est une bouffée d’oxygène pour les migrants même si les critères sont stricts", veut croire Soulma Taoud, présidente de la Commission régionale des droits de l’homme (CRDH), pour qui les cinq années de présence continue devraient être "un indicateur et non une condition appliquée à la lettre". En attendant, le récépissé délivré à Sangary le met à l’abri des contrôles de police. C’est déjà ça de pris.
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Une approche plus humaniste et plus ouverte
Depuis le lancement de la campagne, seul un très petit nombre de clandestins ont été régularisés. De quoi nourrir les critiques des ONG à l’encontre de cette opération imparfaite mais singulière. "C’est la première fois au Maroc qu’on parle publiquement de régularisations et d’intégration, c’est une révolution !" souligne Abdallah Ounnir, professeur de droit à l’université de Tanger et membre de la CRDH. Mais les critères particulièrement contraignants et les refus en rafale ont douché les espoirs des migrants.
"Les premiers mois, nous recevions une centaine de personnes quotidiennement ; désormais, nous traitons moins de dix demandes par jour… Les sans-papiers font les démarches, mais ne cachent pas leur volonté de passer en Espagne, c’est ainsi", constate-t-on au bureau des étrangers de Tanger. Driss El Yazami, président du CNDH, préconise "une approche plus humaniste et plus ouverte". Et de promettre qu’"il y aura des surprises" lors de l’examen des dossiers par la commission de recours, qu’il préside.
Des Subsahariennes en boubou côtoient des Marocaines voilées
Mais pour la plupart des clandestins, Tanger n’est qu’une étape. La dernière avant d’entrer dans l’espace Schengen. En face, on aperçoit par temps clair les côtes espagnoles et le rocher de Gibraltar de l’autre côté du détroit. Mais les points de passage obligés se trouvent plus à l’est, à Ceuta et à Melilla, les deux enclaves espagnoles, seules frontières terrestres entre l’Europe et l’Afrique, protégées sur 8 km par des barbelés et des capteurs électroniques.
En attendant de franchir ces barrières rehaussées de trois à six mètres – ou de rejoindre les enclaves par la mer, au péril de leur vie -, de nombreux clandestins vivent de la mendicité, tentent de se faire employer sur des chantiers ou attendent d’improbables transferts d’argent de leur famille… Beaucoup résident dans le quartier déshérité de Boukhalef, non loin de l’aéroport, où ils louent des appartements insalubres ou squattent des bâtiments inoccupés. Des Subsahariennes en boubou y côtoient des Marocaines voilées. Un choc des cultures que dénonce un habitant. Un responsable du quartier fait état du viol récent d’une Marocaine par des migrants et ne cache pas non plus que la cohabitation est tendue.
Nombreux sont les sans-papiers qui dénoncent les violences policières, lesquelles ont toutefois baissé depuis le début de la campagne de régularisation. "Avant, les flics venaient nous réveiller en pleine nuit. Les rafles étaient quasi quotidiennes, se souvient Hassane Diallo, un Guinéen de 20 ans. Les policiers sont parfois cruels mais je ne leur en veux pas, car ils agissent sous la pression de l’Europe."
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C’est dans ce quartier sensible que, le 4 décembre 2013, un Camerounais de 18 ans s’est tué en chutant du quatrième étage lors d’une intervention policière, provoquant la colère au sein des migrants. D’autant que, deux mois plus tôt, le 10 octobre, un Sénégalais, Moussa Seck, était mort dans les mêmes conditions. "La situation s’est apaisée, confirme un responsable sécuritaire. Tanger est la ville la plus sensible en termes de migration." La régularisation ? Certains haussent les épaules ou esquissent un sourire incrédule. D’autres, comme ce Camerounais, vilipendent un "cadeau empoisonné, car il n’y a pas de travail ici".
La plupart des clandestins ne sont au Maroc que pour rejoindre l’Espagne. En bas d’un immeuble de Boukhalef, Djomonde Massande attend son heure. Cette jeune Ivoirienne cultivée, qui dit avoir travaillé dans l’administration à Abidjan, s’est vu refuser la régularisation à Casablanca, où elle espérait trouver un emploi. Elle a donc "continué l’aventure" et mis le cap sur le Nord, carrefour de migrations illégales : "Désormais, je n’ai plus qu’une option : rejoindre Ceuta par la mer."
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Le Maroc, un "enfer"
De l’autre côté de la frontière, dans la petite enclave espagnole de 80 000 habitants – dont 3 000 militaires – minée par un taux de chômage de 40 %, les centaines de clandestins qui n’ont pas été renvoyés au Maroc par les autorités espagnoles font partie du décor. "Nous ne pouvons pas mettre un terme à l’arrivée des migrants, mais nous devrions faire plus grâce aux importantes subventions que nous recevons de Bruxelles et à la coopération avec le Maroc", souligne le sénateur de Ceuta, José Luis Sastre (Parti populaire).
Sur la coquette place des Rois, dans le centre-ville, 150 Syriens ont planté leurs tentes et vivent des dons des mosquées dont les appels à la prière rythment les journées de cette cité où près de 40 % de la population est musulmane. Réfugiés, déserteurs de l’armée de Bachar al-Assad, familles entières fuyant la guerre, ils refusent de rejoindre le centre d’hébergement gouvernemental de Melilla (Ceti), situé à l’ouest de la ville, en contrebas du club équestre, qui abrite plus de 600 migrants. Devant ce refuge plein à craquer, dont les occupants sont libres d’entrer et de sortir, 17 hommes épuisés attendent en plein cagnard l’assistance de la Croix-Rouge et leur intégration au Ceti.
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Ils font partie d’un groupe de 47 migrants interceptés en mer par la Guardia Civil. L’un d’entre eux vient du Congo, qu’il a fui pendant la guerre, en 1997, pour rejoindre Abidjan, où il a suivi un master en droit à l’université de Cocody, avant de quitter la Côte d’Ivoire durant les événements de 2002. Il parle du Maroc, où il se trouve depuis trois ans, comme d’un "enfer". Le 4 mars dernier, il était l’un des 1 500 migrants à avoir tenté d’entrer en force à Ceuta, en vain.
L’Union européenne s’est longtemps appuyée sur le Maroc ou sur la Libye pour contenir ces flux de migrants, quitte parfois à fermer les yeux sur les méthodes employées par l’ancien dictateur Mouammar Kadhafi, mais elle n’a toujours pas trouvé la parade et cumule les échecs. Bien que critiquée et encore imparfaite, la campagne de régularisation lancée par le Maroc apparaît comme un début de solution pour tenter de réguler le flux migratoire. Mais il est plus difficile de se muer en terre d’accueil qu’en zone de transit de clandestins.
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