Cameroun : appel à la libération de l’écrivain Patrice Nganang
Je viens d’apprendre la nouvelle de l’arrestation de Patrice Nganang et je tiens à lui apporter mon soutien et formule le vœu qu’il retrouve très vite les siens et ses activités tant pédagogiques que littéraires.
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Eugène Ébodé
Écrivain. Administrateur de la Chaire des littératures et des arts africains de l’Académie du Royaume du Maroc.
Publié le 14 décembre 2017 Lecture : 3 minutes.
Tribune. Que lui reproche-t-on ? De s’être exprimé de manière outrageante ? Il ne faudrait pas confondre, dans le désormais monde hyperconnecté et ultrasensible qui est le nôtre, ce qui relève de la conversation poussée à ses extrêmes verbaux, à la caricature comme à l’invective voire aux formes exaspérées de la communication, et ce qui appartient à l’appel au meurtre voire à la réactualisation même masquée du tyrannicide.
Il ne faudrait pas confondre le jeu des outrances avec l’enjeu des outrages
M’exprimant sans autre appui que de vagues échanges téléphoniques avec des amis qui m’ont fait part de leur surprise, je persiste à suggérer qu’il ne faudrait pas confondre le jeu des outrances avec l’enjeu des outrages. Le premier relève de la liberté de dire voire de médire, alors que le second appartient à la chose juridique et, donc, à une institution chargée d’arbitrer, de sanctionner ou de relaxer.
Une autre source du droit, rwandaise par exemple, nous indique combien le droit coutumier peut aussi se prononcer autrement que par la condamnation abrupte, binaire et prolongeant le registre des ressentiments insoupçonnés. Les puristes me rétorqueront que j’extrapole et me trompe de sujet. Peut-être !
Je situe le cas de Patrice Nganang dans le cadre des opinions d’un romancier pouvant écrire à haute voix
Je situe le cas de Patrice Nganang dans le cadre des opinions d’un romancier pouvant écrire à haute voix ou se trompant de temporalité entre le moment de l’écriture fictionnelle et celui de la parole engageante.
Me situant donc dans l’espace des jeux de mots et des joutes oratoires, il est plausible de se laisser porter par le souhait de heurter, de susciter la réaction et de s’exprimer en utilisant une charge disproportionnée. Le désir de bousculer, de happer l’attention, de se placer au centre des polémiques peut pousser à l’excès, à la surenchère verbale. Est-elle verbalisable ? A chacun d’apprécier. Mais le domaine de l’opinion, comme celui de la littérature ne sont pas soumis à une impunité, mais à une possibilité de donner à son propos de l’intensité.
Tradition littéraire
Depuis Juvénal et ses satires, depuis celui qu’on désigna comme le « Fléau des princes », nous savons que les formules les plus vives sont faites pour qu’elles crépitent comme un feu de bois sous une bouilloire. Ce sont les mœurs dégradées qui mobilisèrent hier les tirades rageuses de Juvénal, les philippiques de Démosthène devant les défaites des Athéniens et son exaspération face à la démission des politiques et leurs incapacités à protéger le peuple.
Victor Hugo fustigea la liquidation de la République par Napoléon III. Résonnent encore dans nos têtes les apostrophes et les indignations de Mongo Beti devant les exploitations outrancières du pouvoir postcolonial. De même, les semonces de Tierno Monénembo à l’encontre d’Alpha Condé sonnent à nos oreilles comme une invitation permanente à ne pas céder à la fatalité des pouvoirs qui n’ont de projet que la conservation du pouvoir, même si nous savons que tout pouvoir, où qu’il se trouve, ne rêve que de se substituer à lui-même.
Une réflexion sur nos sociétés lénifiantes, fébriles ou épuisées
Ce que nous propose la situation actuelle de Patrice Nganang n’est pas un face à face du pouvoir contre son féroce contestataire, mais une réflexion sur nos sociétés lénifiantes, fébriles ou épuisées.
Il me semble que c’est le refus de cet épuisement que pointe Patrice Nganang. Il l’exprime au moyen de la « tonitruance », cette outrance du langage faite pour réveiller mais non pour fusiller, faite pour ouvrir le débat mais non pour offrir les armes aux criminels.
Je l’ai dit, l’outrance est une charge, issue de la caricature comme du dessin pour moquer et non pour tuer. Considérons Patrice Nganang comme ce qu’il est : une générosité singulière, une conscience qui n’est pas le tourment, mais qui dit ce qui tourmente, révolte.
Patrice Nganang, l’une de nos plumes les plus exploratoires et parfois les plus explosives aussi. Elle n’est pas une grenade dans la main d’un agitateur, mais une main tendue vers ses semblables pour être pleinement, comme disait Césaire, « bêcheur de cette unique race » de ceux qui espèrent le meilleur pour tous les Camerounais et leurs voisins. Il faut imaginer Patrice Nganang libre et tonitruant.
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