L’éducation, un besoin vital
Aller à l’école n’est pas moins important que se nourrir et avoir un toit, assure le professeur de philosophie Ali Benmakhlouf, qui préconise notamment un apprentissage précoce des langues étrangères.
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Ali Benmakhlouf
Professeur des universités et membre correspondant de l’Académie nationale de pharmacie, à Paris.
Publié le 10 janvier 2018 Lecture : 3 minutes.
Une croyance bien installée veut que l’on puisse distinguer des besoins primaires, comme se nourrir et avoir un toit, des besoins secondaires, comme l’éducation. Il convient avant tout de fournir aux peuples de quoi manger, l’éducation peut attendre. Je m’élève contre cette idée reçue. Ce n’est pas parce que les besoins primaires sont plus simples que le besoin d’éducation que ce dernier n’en est pas moins fondamental.
En tant que besoin fondamental, l’instruction pour tous ne peut attendre
En effet, tous les États qui n’ont pas fait de l’éducation leur priorité ont vu leur population s’appauvrir. La pauvreté, comme l’a bien montré le Prix Nobel d’économie Amartya Sen, est d’abord une privation de capacités, pas seulement une faiblesse de revenus. Or si l’on n’a pas été instruit, on ne peut même pas formuler le besoin de se nourrir, ni par conséquent lutter pour le satisfaire. Aller à l’école, c’est gagner en capacités, pour en acquérir la plus précieuse, l’autonomie. Les prétextes sont nombreux pour retarder l’éducation généralisée : il faudrait d’abord électrifier les zones rurales, faire des routes, construire des écoles…
Mais, en tant que besoin fondamental, l’instruction pour tous ne peut attendre. Durant la guerre civile au Liban, entre 1975 et 1990, on donnait des cours dans les garages. A contrario, le programme d’urgence d’aide à l’école au Maroc soutenu par l’Europe dans les années 2010 n’a pas été orienté vers la généralisation de l’instruction, ni vers la formation des enseignants : il s’est focalisé sur la construction des établissements. Résultat : l’école publique se retrouve avec des classes surchargées.
Élargissons la réflexion à l’ensemble du Maghreb. Un obstacle majeur a freiné la mission de l’école, qui est d’offrir des outils pour lire le monde : le choix de la langue. L’arabisation en elle-même ne pose pas problème, mais seulement si un effort constant de traduire le savoir mondial dans cette langue est fait.
Aujourd’hui on alphabétise pour lire le Coran, télescopant ainsi deux objectifs distincts, la maîtrise de la langue et la connaissance du texte sacré.
On traduit pour comprendre et non pour simplement transposer des significations : une langue qui traduit est une langue qui s’enrichit. L’arabe a connu au IXe siècle (Bagdad) puis au XIXe (Le Caire) des moments significatifs de développement grâce la mise à disposition du savoir produit ailleurs (en Grèce puis en Europe).
L’arabisation des années 1980 fut un phénomène idéologique abordé comme une nationalisation et une islamisation : aujourd’hui on alphabétise pour lire le Coran, télescopant ainsi deux objectifs distincts, la maîtrise de la langue et la connaissance du texte sacré.
Le français, qui fut si bien parlé au Maghreb, a été écarté ou fortement réduit sans que l’arabe n’ait pu prendre le relais. En cause, cette absence de traduction et l’aimantation par le sacré. Le résultat est catastrophique : sacralisation de l’idiome linguistique sans prise en compte de ses multiples usages contextuels et oubli de la grande tradition classique de littérature et de philosophie arabe au profit « d’études islamiques », présentées dans un style dogmatique et non critique.
De nombreuses personnes analphabètes ou illettrées au Maghreb ont une vaste culture. Autrement dit, une éducation, à défaut d’une instruction
À défaut de traduire immédiatement tout le savoir mondial en arabe, force serait de reconnaître que les cours de langues étrangères représentent une priorité absolue, au même titre que l’eau et la nourriture. Plus on apprend les langues plus on perçoit les rapports logiques. L’apprentissage de la rigueur passe donc aussi par ces enseignements.
J’ai parlé tantôt d’instruction, tantôt d’éducation. Je voudrais clarifier ce point. De nombreuses personnes analphabètes ou illettrées au Maghreb ont une vaste culture faite de proverbes, d’adages, de savoir-faire non répertoriés. Autrement dit, une éducation, à défaut d’avoir une instruction. Mais cette éducation est minorée, démonétisée. C’est encore l’instruction qui peut redonner des couleurs et une vraie valeur à ces connaissances populaires, en se les appropriant.
La pluralité des langues d’une part, la reprise thématisée des usages sédimentés dans la langue de l’autre : voici quelques besoins premiers et vitaux pour gagner en autonomie.
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