Développement : l’avenir est au Sud
De retour d’un festival littéraire au Brésil, Scholastique Mukasonga, écrivaine rwandaise, lauréate du Prix Renaudot 2012 pour Notre-Dame du Nil, a la conviction que l’avenir du monde est entre les mains des pays du sud.
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Scholastique Mukasonga
Écrivaine rwandaise, lauréate du Prix Renaudot 2012 pour Notre-Dame du Nil.
Publié le 4 janvier 2018 Lecture : 3 minutes.
Je rentre d’un séjour au Brésil. J’étais invitée au Festival littéraire international de Paraty (Flip) à l’occasion de la parution de la traduction de deux de mes livres : La Femme aux pieds nus et Notre-Dame du Nil. C’est la plus importante manifestation littéraire organisée dans le pays, le cinquième salon le plus important du monde selon les organisateurs. Pour sa quinzième édition, la Festa literària voulait mettre à l’honneur les écrivains noirs (30 %) et les femmes écrivaines (24 femmes pour 22 hommes).
Parmi les autores negros, on comptait bien sûr des Brésiliens, entre autres Conceiçao Evaristo, 71 ans, universitaire, considérée comme la mémoire « nègre » du Brésil, le Jamaïcain Marlon James, l’Américain Paul Beatty et l’Angolaise Djaimilia Pereira de Almeida.
J’ai participé à de nombreux salons littéraires, mais l’accueil que j’ai reçu à Paraty reste une exception. Le chapiteau et l’église pleins à craquer, la foule jusque dans la rue… Plus de 800 personnes pour la seule église, m’a-t-on affirmé. Signatures sans discontinuer de 21 heures à 1 heure du matin.
Rock star
La salle prévue étant trop petite, je décide de faire la rencontre dans la rue. Ma présence provoque un enthousiasme que je croyais réservé à un joueur de football ou à une rock star. Était-ce parce que j’étais noire et surtout une authentique Africaine, était-ce en raison du génocide des Tutsis, que beaucoup semblaient découvrir avec une forte émotion ?
Je garderai aussi un souvenir inoubliable de mon intervention à la favela Vidigal, à Rio. Chez les plus pauvres, pour ne pas dire chez les pestiférés. L’accès y est très difficile, mais surtout les gens de là-haut sont considérés comme « dangereux », leur misère est telle une menace suspendue au-dessus de la ville d’en bas illuminée de toutes ses richesses.
Les favelas sont livrées à la violence, qui, au dire des Cariocas, a pris cette année des proportions inquiétantes. L’Institut français y multiplie malgré tout les activités culturelles. Les rencontres ont lieu dans des locaux de l’école de théâtre. Patrick Chamoiseau m’y avait précédé.
J’ai été saisie d’une intense émotion. Pour moi, un quartier aussi pauvre ne pouvait pas exister en Amérique. Pourtant, je m’y suis sentie à l’aise, un peu comme si je rentrais chez moi. Le public, pour la première fois, était presque entièrement noir ou métissé. Je ne crois pas avoir parlé de littérature.
Le racisme au Brésil structure les classes sociales
Les questions ont tout de suite porté sur l’identité noire qui colle à la peau. Le racisme au Brésil structure les classes sociales. Le souvenir lancinant de l’esclavage hante encore les esprits. Le Rwanda n’a pas connu la traite. Mais je n’ignore pas la souffrance d’être en mal d’identité. J’y ai d’ailleurs consacré mon dernier livre, Cœur Tambour.
Luiz Inácio Lula da Silva, à l’étonnement général et surtout au mien, a tenu à me rencontrer dans son Instituto Lula, à Sao Paulo. Malgré les accusations de corruption dont il fait l’objet et ses déboires judiciaires, il reste très populaire. Les pauvres et les régions déshéritées du Nordeste n’ont pas oublié ce qu’il a fait pour améliorer leur sort. « Le Brésil a besoin de Lula », répètent ceux qui sont persuadés qu’il sera réélu.
L’ancien chef de l’État s’est montré très chaleureux avec moi. Sa simplicité a confirmé ce que j’avais entendu dire de lui. Un gamin miséreux du sertão, élevé par sa mère, qui lui disait chaque jour : « Tu peux faire plus. » C’est peut-être grâce à cela qu’il est devenu président. C’est peut-être aussi pour cela qu’il a tenu à me rencontrer. La Femme aux pieds nus avait fait beaucoup de bruit à Paraty.
La conversation a surtout porté sur l’Afrique. L’ex-président a raconté avoir déployé toute son énergie pour créer une coopération avec de nombreux États du continent. « L’Atlantique n’est qu’un ruisseau entre le Brésil et l’Afrique », affirme-t-il. Malgré les difficultés économiques, les péripéties politiques, les injustices sociales, je reviens convaincue que, des deux côtés de l’océan, l’avenir est au Sud.
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