Allah est grand, la femme aussi…
Dans tous les pays du monde arabe, les lignes sont en train de bouger en faveur des femmes. Mais les éducateurs, les États et surtout les imams doivent accompagner ce vent de changement.
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Nadia Lamlili
Nadia Lamlili est responsable de la zone Maghreb/Moyen-Orient sur le site de Jeune Afrique. Elle est en particulier spécialiste du Maroc.
Publié le 27 décembre 2017 Lecture : 4 minutes.
Printemps arabes : que reste-t-il du vent révolutionnaire de 2011 ?
Que reste-t-il du vent de contestation populaire qui s’est levé en 2011 dans les pays arabes, du Maroc au Yémen ? Alors que les rêves de changement ont été balayés par des crises politiques profondes et par l’hydre jihadiste, l’heure est à la « reprise en main » contre-révolutionnaire.
L’année 2018 s’annonce prometteuse après le lot de bonnes nouvelles que 2017 a apporté dans les pays arabes en matière de droit des femmes. C’est la Tunisie, historiquement pionnière, qui s’est le plus illustrée, avec deux actions « coup de poing ». Le 13 août 2017, à l’occasion de la journée de la femme tunisienne, le président Béji Caïd Essebsi a décrété vouloir réformer les lois musulmanes sur l’héritage afin de permettre l’égalité successorale. Un mois après, l’entourage présidentiel a annoncé l’abrogation de toutes les circulaires interdisant le mariage des Tunisiennes avec des non-musulmans.
De quoi hérisser la barbe des gardiens du temple orthodoxe, dont ceux de la prestigieuse institution Al-Azhar, qui ont désavoué ces réformes, les qualifiant de « contraires à la charia ».
Un vent de changement a soufflé même sur les pays les plus régressifs du monde
Mais c’était compter sans la force de ce vent de changement, qui a soufflé même sur les pays les plus régressifs du monde en matière des droits des femmes. Le 26 septembre, un décret royal a autorisé les Saoudiennes à conduire. On peut en rire, mais c’est une révolution dans un royaume où chaque femme vit encore sous la tutelle d’un homme de sa famille. La Jordanie et le Liban n’ont pas démérité non plus. Suivant le modèle tunisien, ils ont aboli la possibilité pour un violeur d’échapper à la prison s’il épouse sa victime.
Dans le monde arabe, les lignes sont bel et bien en train de bouger en faveur des femmes. Mais uniquement au niveau des lois. Car leur quotidien pâtit encore d’un fléau majeur, appelé harcèlement sexuel.
Le discours réformiste ne peut plus passer uniquement par les lois et les quelques leçons dispensées par un enseignement public défectueux
Les images d’agression qui nous sont venues cette année du Maroc, dont celles d’une tentative de viol collectif d’une jeune fille dans un bus, nous ont rappelé la réalité violente de la rue. En Égypte, pays considéré comme le plus dangereux pour les femmes, un avocat conservateur, interviewé par une chaîne de télévision locale, en est arrivé à dire que la fille qui marche dans la rue avec un jean déchiré « mérite d’être violée ». « C’est même un devoir national que de la harceler et la violer », avait-il vociféré sous le regard horrifié des autres invités. Il a depuis été condamné à trois ans de prison.
Ces déclarations violentes, pour ne pas dire criminelles, viennent rappeler que le corps de la femme, malgré les bonnes intentions des politiques, n’appartient toujours pas à celle-ci. Dans bien des pays arabes, la fabrique du mâle alpha tourne à plein régime. Tous les jours, les réseaux sociaux dégagent des effluves aussi nauséabonds que l’appel à la violence de cet avocat égyptien.
Tous les vendredis, les imams doivent réapprendre aux gens les règles basiques du savoir-vivre : qu’il est interdit de harceler une femme dans la rue
Résultat : le discours réformiste ne peut plus passer uniquement par les lois et les quelques leçons dispensées par un enseignement public défectueux. Le temps est venu d’utiliser l’instrument qui parle le plus à la rue : la religion. Pendant de longues décennies, les mosquées ont servi à embrigader les jihadistes et à vendre un discours des plus obscurantistes à la jeunesse arabe.
Il est grand temps qu’elles se transforment en porte-voix de la nouvelle société que nous voulons édifier. Tous les vendredis, au lieu de décréter leur vision manichéenne du halal et du haram, les imams doivent réapprendre aux gens les règles basiques du savoir-vivre : qu’il est interdit de harceler une femme dans la rue, qu’elle a droit à l’espace public autant que l’homme, que le viol est un crime aux yeux d’Allah…
Le silence et la hchouma
Il va sans dire que ce changement sera plus facile à mener dans les pays où l’État exerce un contrôle sur le culte. Au Maroc, le roi, première autorité religieuse du pays, a pu lancer une réforme d’envergure, même si elle avance timidement en raison de la résistance des conservateurs. L’État tunisien, qui nous a agréablement surpris cette année, pourrait aussi insuffler ce changement, du moins dans les mosquées qui sont sous son aile (certaines échappent encore à son contrôle).
Au moment où la parole se libère un peu partout dans le monde dans le sillage de l’affaire Weinstein, rares sont les femmes arabes qui ont déballé les actes d’agression qu’elles ont subis. Celles qui ont osé dire #metoo sont généralement issues de la classe moyenne, instruites et engagées depuis longtemps dans la bataille de leur libération. Mais le plus gros du bataillon – celles qui ne parlent pas, qu’on n’entend pas – a refoulé ses blessures dans les limbes du silence et de la hchouma (« honte »).
Lorsqu’elles verront que le discours d’Allah a changé dans les mosquées et que les hommes ont commencé à les regarder comme des êtres humains et non comme une aoura (« tentation »), les femmes pourront alors exister sans avoir honte de leur féminité.
Dans les pays arabes, on l’aura compris, il ne suffit pas d’édicter des lois pour arracher des droits. Il faut aussi éduquer le peuple.
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Printemps arabes : que reste-t-il du vent révolutionnaire de 2011 ?
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