Rwanda : le « modèle Kigali » en questions
Pas une journée sur les réseaux sociaux sans lire la fascination pour Kigali, ville propre. Pas une journée dans la presse africaine sans un article élogieux sur Kigali, ville où tout fonctionne. Kigali est le modèle à suivre, et l’injonction est forte : soyez Kigali !
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Jérôme Chenal
Urbaniste à l’école polytechnique de Lausanne (Suisse)
Publié le 3 janvier 2018 Lecture : 3 minutes.
Kigali réussit, ses rues sont entretenues, ses infrastructures opérationnelles, internet pénètre même les transports publics, et les investisseurs du monde entier viennent à Kigali, délaissant de plus en plus Nairobi. Pourtant, au-delà de cette fascination, de cette réussite insolente que le monde entier veut voir, Kigali pose de vraies questions. Interrogeons-nous donc sur le « modèle Kigali ».
Cette réussite signifierait avant tout l’échec cuisant des autres villes. L’histoire semble pourtant simple : les habitants de Kigali se sont réveillés un jour, se sont mis au travail, et Kigali est devenue Kigali. Tout le monde peut y arriver, avec un minimum de volonté. Mais alors, dans cette légende de la simplicité, pourquoi toutes les villes ne font-elles pas comme Kigali ?
Touristes contre kigaliens
Il y aurait une autre histoire, un peu plus complexe, qui fait que le miracle rwandais ne peut se dérouler qu’au Rwanda… Première faille dans le modèle, qui se révèle peu exportable dans des contextes politiques et culturels différents. Et quand on regarde de plus près, quand on se promène un peu, il y a beaucoup de belles choses, de Cotonou à Dakar, de Brazzaville à Addis-Abeba.
On ne se réveille pas un jour en disant « tiens, aujourd’hui, je vais être discipliné », l’’ordre et la sécurité reposent sur la peur du gendarme
Ce sont avant tout les expatriés qui font la promotion de Kigali, car ils y trouvent ordre et sécurité, des facteurs importants lorsque l’on vit loin de chez soi. La diaspora aime aussi retrouver à Kigali l’aspect immaculé des rues de Genève ou de Singapour. Pour cette élite la vie y est simple, comme elle l’est pour toutes les élites. Mais l’habitant des villes, celui qui représente les 98 % de la population, voit-il en Kigali un modèle de réussite ? Personne ne le sait car personne ne lui a jamais demandé.
On ne se réveille pas un jour en disant « tiens, aujourd’hui, je vais être discipliné ». L’ordre et la sécurité reposent sur la peur du gendarme et c’est bien un système policier qui doit être mis en place, comme à Genève ou à Singapour. Là, l’habitant ne jette jamais rien par terre, de peur qu’un policier ne le voie. Et pris sur le fait, pas de négociation possible, il faut payer l’amende.
Mixité
Kigali met également en place un zonage des activités économiques et se bat ainsi contre la mixité des territoires, pendant que le reste du monde cherche à dépasser cet outil de réglementation imposé dès les années 1920 par le mouvement moderne. Les grandes zones de bureaux en sont la preuve.
Les villes du continent ont la caractéristique de pousser la mixité à son paroxysme, répartissant ainsi l’emploi sur tout le territoire urbain et réduisant les déplacements. La mixité permet de faire de la ville durable. De ce point vue, Kigali ne veut pas être africaine et met en place un système emploi-habitat qui sera à terme coûteux en transports et ainsi peu durable.
Si la grandeur d’une ville ne se mesure qu’à la propreté de ses rues, alors l’humanité est dans une impasse
Alors que la décentralisation est sur toutes les lèvres, Kigali est un modèle de la centralisation des pouvoirs. Le modèle de réussite de la ville, c’est celui de la réussite d’un pays. Que voulons-nous ? Quelle forme de démocratie ? Celle de Genève ou de Singapour ?
Enfin, pour évaluer un modèle, d’autres indicateurs sont nécessaires. La ségrégation, la fragmentation et la pauvreté ont-elles reculé ? Si la grandeur d’une ville ne se mesure qu’à la propreté de ses rues, alors l’humanité est dans une impasse.
Après ces quelques pistes de réflexion, si Kigali est toujours le seul modèle pour les villes africaines, alors faisons Kigali à Dakar, à Bamako, à Accra et à Libreville. Mais il est possible de faire à Dakar le modèle de Dakar, à Bamako celui de Bamako et ainsi de suite. Questionnons nos référentiels de pensée, et peut-être que l’identité, la culture, les croyances, les rapports humains et le cadre social de nos vies seront plus importants pour nos villes que la seule propreté de leurs rues, même si avouons-le, s’y promener est agréable.
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