Orphelins de terroir
Révélée début juin par le président François Hollande, la nouvelle carte territoriale souffle un vent guerrier sur la France. Jugez-en par la terminologie belliqueuse utilisée pour en parler : démantèlement, big bang, dévastation, éclatement, résistance… On dirait l’Ukraine ! L’escadron connu sous le nom de "promotion Voltaire" est sur le front, Ségolène Royal et Michel Sapin en première ligne.
Des unités d’élus régionaux affûtent leurs armes et, parfois, tirent dans le dos de l’ennemi. Montjoie ! L’honneur de la Bretagne est en jeu et la route du vin risque d’être annexée. Il faut défendre l’Alsace jusqu’à la dernière goutte de riesling. Hors de question de sacrifier la Charente-Maritime, de confondre Toulouse et Nantes ou de faire basculer la Picardie en Champagne-Ardenne ! Rallier Maurs-la-Jolie au tunnel du Mont-Blanc ? Une pure folie ! Le Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées ? Il faudra nous passer sur le corps. Et la fin annoncée de l’Auvergne, vous y avez songé ? Non, vraiment, le temps est à la mobilisation, à la défense des frontières.
Je vous l’ai dit, c’est l’Ukraine. Sauf que cela se passe avec des mots et non des armes. C’est ce qu’on appelle une guerre civilisée.
Maintenant, examinons de plus près le motif principal de la discorde. Il s’agit d’abord, et avant tout, d’identité. Un marronnier national qui ressurgit cette fois paré de nouveaux atours : un conflit franco-français invoquant les origines, l’ascendance, les patois anciens, la pérennité de la cornette et du béret, le prestige de la mirabelle, le coin de terre qui a vu naître je ne sais quelle grande figure locale.
C’est pour cela – et vous avez dû le remarquer – que les immigrés arabes et africains, dont nous sommes, n’ont pas pris part au combat. "Nous n’avons rien à goûter dans ce souk", dit le proverbe de nos anciens là-bas. Nous n’avons ni patrimoine ni tombes ancestrales à défendre. Quel argument voulez-vous que je trouve, moi, pour me battre aux côtés de ou contre telle ou telle autre région ? Quelle tradition architecturale, quelle église, quelle cuisine de terroir ? De quelle légitimité puis-je me prévaloir pour vanter la coiffe alsacienne, la langue d’oc ou le kouglof ? Toutes ces spécificités locales qui me sont soudain jetées à la figure me renvoient à mon statut d’immigrée. Jamais je ne me suis sentie aussi orpheline de quelque chose, aussi étrangère en France.
Mais comme je suis du genre optimiste, je me félicite du fait que, pour une fois, la question de l’identité ne sert pas de piège à immigrés. Les Arabo-Africains vont pouvoir bénéficier d’un répit et regarder tranquillement le match qui oppose les équipes de souche mesurant leurs muscles comme jadis Astérix et Obélix contre César. Nous pourrions même jouer les arbitres vu notre neutralité sur le terrain. Et méditer cette phrase lancée par un joueur du Nord contre son adversaire du Centre : "Désolé, nous n’avons pas grand-chose en commun, à part être français." Tiens, ça me fait penser au Mondial. Pauvre France, elle va devoir nous réintégrer dans son giron, football oblige…
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