Les aventures ambiguës de Kabello Sello Duiker
Dix ans après la mort prématurée de Kabello Sello Duiker, à 30 ans, son courageux roman-fleuve, « La Sourde Violence des rêves », sort enfin en français.
Le 19 janvier 2005, l’écrivain sud-africain Kabello Sello Duiker posait son dernier point final. Âgé d’à peine 30 ans, il se pendait, laissant derrière lui deux romans remarqués – Thirteen Cents (2000) et The Quiet Violence of Dreams (2001) – ainsi qu’un texte inachevé. Si Thirteen Cents a été publié en français en 2010 chez Yago, il aura fallu attendre plus de dix ans pour que La Sourde Violence des rêves paraisse enfin chez Vents d’ailleurs, grâce à la détermination de Jean-Pierre Orban.
"J’ai porté ce livre sous le bras pendant huit ans, essayant de temps à autre de le proposer à un éditeur. C’est finalement grâce à un projet de collection chez Vents d’ailleurs avec Claire Riffard, et au courage des coéditeurs que la traduction du roman de Duiker a pu voir le jour. On peut de fait se demander pourquoi il n’a pas été publié plus tôt en français : qu’on l’aime ou pas, beaucoup ou moyennement, tout le monde reconnaît qu’il est un marqueur dans la littérature sud-africaine. Mais beaucoup de romans mettent du temps à trouver leur place à l’intérieur d’un pays comme à l’étranger, non ?"
En tout état de cause, en dépit de ces quelque dix années d’attente pour les francophones, la somme monumentale que représente La Sourde Violence des rêves n’a pas pris une ride. À son éditeur néerlandais, K. Sello Duiker écrivait : "Le roman explore la culture de la jeunesse et ce que cela signifie d’être jeune. Il décrit plusieurs milieux sociaux, depuis les scandaleusement riches jusqu’aux plus pauvres du Cap. Dans le fond, c’est un roman d’apprentissage."
Accro à l’herbe, écrasé par le poids d’une histoire familiale atroce, Tshepo est un jeune homme doux à qui manque ce gène de l’agressivité si nécessaire pour survivre dans la société contemporaine du "consommer ou mourir". Tout commence donc très mal pour lui, dans l’univers carcéral de l’asile psychiatrique où l’on relègue ceux qui n’entrent pas dans le cadre. Et s’il en sort, c’est pour affronter bientôt la violence extrême – et le viol – tout en se consumant d’amour pour son bourreau. Mais on ne cherchera pas à résumer ici un roman choral de plus de cinq cents pages où Tshepo, l’alter ego de K. Sello Duiker, multiplie les rencontres d’un soir, d’un jour, d’une vie.
Né en 1974, formé dans une école privée blanche, diplômé en journalisme, rédacteur publicitaire, responsable de programmes et auteur pour la télévision sud-africaine, le jeune romancier traduisait en mots la vie telle qu’il la vivait, sans fard, sans masques, sans faux-semblants. Tout en décortiquant la violence perpétuelle des relations entre classes, entre sexes, entre origines, et ce sans jamais craindre d’appeler un chat un chat, il s’attachait à dépeindre des personnages profondément humains, bourrés de contradictions, saisis dans ce moment de déséquilibre troublant où l’adolescent s’essaie dans la peau de l’adulte – au péril de sa vie parfois.
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Un explorateur avisé des zones troubles
Bien entendu, embrassant toute la complexité de la société sud-africaine post-apartheid, La Sourde Violence des rêves est bien plus qu’un simple roman d’initiation sur l’homosexualité. Reste que c’est sans doute pour la force et la crudité avec lesquelles il s’attaque courageusement à ce sujet précis qu’il marquera l’histoire de la littérature du continent en général. Ainsi Tshepo, acceptant son attirance pour les hommes, finit par travailler comme prostitué de luxe dans un salon de massage, éprouvant souvent pour ses clients en manque d’amour une certaine tendresse.
"Les gens disent toujours que la culture noire est rigide, qu’elle n’accepte pas les homosexuels et les lesbiennes, dit-il. Tu connais le débat – c’est pas du tout africain. C’est des conneries. Dans mon expérience, ça vient des Noirs urbanisés, qui ont oublié les origines de notre culture en la mélangeant avec les principes bibliques anglo-saxons. C’est idiot de suggérer que l’homosexualité n’existe pas dans la culture noire. Il y a longtemps, bien avant les Blancs, les gens étaient conscients des zones troubles. Forcément." Voilà ce que fut K. Sello Duiker : un explorateur avisé des zones troubles. Et de l’amour.
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