Tunisie : Shams Rad, la première radio gay du monde arabe
La webradio gay « Shams Rad », la première du genre dans le monde arabe, diffuse ses émissions depuis ce lundi. Lancée par l’association Shams, elle milite pour la dépénalisation de l’homosexualité en Tunisie.
« Shams Rad, dignité et égalité », murmurent à l’unisson une voix féminine et une autre masculine, ce lundi 18 décembre. Deux mots d’ordre qui constituent le slogan de la nouvelle webradio de l’association tunisienne Shams. Un nouveau média avec une ligne éditoriale jusque-là inédite dans le monde arabe : défendre les droits des minorités sexuelles. Difficile à croire, dans un pays où les relations homosexuelles sont encore punies de trois ans d’emprisonnement… Et, pourtant, il suffit désormais d’un simple clic pour être auditeur de cette radio communautaire.
À travers ce nouveau support, l’association Shams, qui milite officiellement depuis 2015 pour la dépénalisation de l’homosexualité en Tunisie, élève son combat à une toute autre échelle. Son discours est désormais audible sur l’ensemble du territoire.
« Le but est de diffuser un discours de tolérance et de faire comprendre à l’ensemble des Tunisiens que l’homosexualité n’est pas une maladie, que des arguments scientifiques existent et prouvent que l’homosexualité n’est pas un choix et que donc cette discrimination est illégitime, précise à Jeune Afrique Mounir Baatour, avocat et activiste au sein de l’association Shams. D’ailleurs, il faudrait être fou pour choisir volontairement d’être homosexuel dans un pays aussi homophobe que la Tunisie. »
Une radio, un film et bientôt une conférence LGBT en Tunisie
Grâce à l’hébergement sur le net, la radio a pu échapper au contrôle de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica), chargée d’organiser le secteur audiovisuel en Tunisie, et qui aurait sans doute constitué un frein à sa création. L’association Shams a réussi à obtenir le soutien financier de l’ambassade des Pays-Bas, en participant à un appel d’offre visant des projets qui font la promotion des droits humains.
Outre la radio, Mounir Baatour affirme que Shams a obtenu le soutien de l’ambassade pour la production d’un film qui traitera de l’homosexualité en Tunisie, mais aussi pour l’organisation d’une conférence qui réunira les associations qui militent pour les droits de la communauté LGBT dans la région MENA et qui se tiendra en Tunisie, en mars 2018.
Après l’annonce du lancement de la radio, lundi 11 décembre, lors d’une cérémonie organisée à l’hôtel Majestic dans le centre de Tunis, l’association a reçu plus de 4 000 messages de haine. « Certains nous insultent, d’autres menacent de brûler les locaux de la radio et vont même parfois jusqu’à nous menacer de mort », confie Mounir Baatour. « Les autorités ont équipé notre local d’un système de surveillance et des policiers contrôlent l’identité des personnes qui entrent dans l’immeuble. Ils ne nous ont pas donné d’informations à ce sujet, mais je suppose que c’est pour notre sécurité », continue-t-il.
Une émission intitulée « Hkeyet Shams », sera entièrement dédiée aux témoignages des auditeurs victimes de discriminations à cause de leurs orientations sexuelles
Pour ce qui est de la programmation, la radio a annoncé qu’elle serait une radio généraliste, malgré son aspect communautaire. Des émissions culturelles, économiques et politiques sont programmées tout en gardant toutefois cet intérêt particulier pour la cause LGBT. Une émission intitulée « Hkeyet Shams », « Les histoires de Shams » en français, sera, par exemple, entièrement dédiée aux témoignages des auditeurs victimes de discriminations à cause de leurs orientations sexuelles.
Par contre, pas question d’inclure des émissions qui traiteraient de l’aspect religieux de ce débat : « Dans les médias tunisiens, l’homosexualité n’est abordée qu’à travers cet aspect-là. Nous, nous voulons sortir de ce discours et en apporter un neutre. Nous voulons montrer que l’homosexualité ce n’est pas de la sodomie, comme l’affirment les imams, mais une relation d’amour. »
Une première émission à caractère militant
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D’ailleurs, la radio ne perd pas de temps pour affirmer ses revendications. Lundi 18 décembre, à l’heure du déjeuner, Mounir Baatour, cette fois-ci au micro de la radio depuis un lieu tenu secret, commence par faire un état des lieux de la situation des homosexuels en Tunisie : 66 arrestations en 2017 et 196 homosexuels sont actuellement dans les prisons tunisiennes, une situation alarmante, selon le militant.
Amina Sboui, féministe tunisienne et ancienne membre du groupe Femen est également présente dans le studio. Pour elle, « cette radio est une chance », « ces chiffres, même moi je viens de les découvrir et c’est à cause du manque d’intérêt avéré des médias traditionnels pour la souffrance des minorités sexuelles. Cette radio, c’est une manière de faire bouger les choses », explique l‘activiste.
Elle animera une émission, tous les samedis de 13h à 15h, qui traitera des problèmes rencontrées par les femmes bisexuelles, lesbiennes et transexuelles en Tunisie. Pour sa première émission, l’animatrice radio a d’ailleurs annoncé qu’elle recevrait une personne transexuelle, pour parler des discriminations dont elles sont victimes dans la société tunisienne.
Après l’intervention d’Amina, Mounir Baatour interpelle les auditeurs sur l’un des combats les plus importants de l’association : l’interdiction du test anal. « Notre gouvernement s’y est engagé auprès du Conseil des Droits de l’homme, mais cet engagement n’a nullement été effectif », dénonce-t-il. Il n’hésite pas, non plus, à employer des mots crus pour décrire ce procédé humiliant, avant de conclure : « Ce n’est rien d’autre qu’un viol physique et moral, qui est en plus inutile car selon les médecins que nous avons contactés, il ne peut en aucun cas prouver l’homosexualité d’une personne. »
La loi qui incrimine l’homosexualité est à l’opposée de la Constitution qui garantit la non-discrimination, le respect de la dignité de la personne et de son intégrité physique, morale et de sa vie privée
Après avoir dressé ce tableau noir, l’animateur demande à l’avocat les solutions possibles face à une telle situation. Pour Mounir, l’espoir réside dans la Constitution. La loi qui incrimine l’homosexualité est à l’opposée de la Constitution qui garantit la non-discrimination, le respect de la dignité de la personne et de son intégrité physique, morale et de sa vie privée.
En quelques minutes d’émission, l’association aura réussi à exposer les points les plus importants de son discours et ce n’est encore que le début.
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