États-Unis : black twitto, c’est Zorro
Ne vous laissez surtout pas aller à des commentaires racistes ou xénophobes sur les réseaux sociaux. Vous vous exposeriez à subir les foudres d’un drôle de vengeur masqué.
Quel est le point commun entre Teddy Wayne, journaliste au New York Times, Paula Deen, vedette d’une émission culinaire, et Justine Sacco, responsable de la communication dans un groupe de médias ? Tous trois ont fait les frais de Twitter. Ou plutôt de "Black Twitter", qui regroupe des millions de twittos africains-américains. Les coups de sang et les fous rires de ces derniers dictent souvent les tendances sur le réseau social et font régulièrement la une des médias américains.
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N’en cherchez pas une définition plus élaborée : ses membres eux-mêmes s’y perdent. "On ne peut pas vraiment expliquer ce qu’est #BlackTwitter, c’est une sorte de grand salon de coiffure ou d’institut de beauté, avec un côté réunion de fidèles à l’église et de lycéens noirs attablés pour déjeuner", tweetait en mars l’actrice africaine-américaine Reagan Gomez Preston.
Un flou qui tranche avec l’influence bien réelle de ladite communauté. Pour Teddy Wayne, journaliste d’une trentaine d’années, tout a commencé après une tribune qu’il a consacrée au twerk (une danse fort suggestive) dans le New York Times, le 31 août 2013. "Le twerk, écrivait-il, est une danse typiquement associée aux femmes noires à faibles revenus." Très vite, le hashtag (mot-clé) #AskTeddyWayne ("#demanderàTeddyWayne") est créé. Et les moqueries fusent. "Je ne sais pas twerker et je n’ai pas de faibles revenus : suis-je encore une femme noire ? #askteddywayne", feint par exemple de s’interroger une twitto. Après avoir privatisé son compte Twitter, le journaliste a fini par s’excuser par mail auprès de plusieurs internautes.
Quelques semaines auparavant, c’est Paula Deen, 67 ans, chef cuisinier vedette à la télévision, qui a vu sa carrière partir en fumée.
Quelques semaines auparavant, c’est Paula Deen, 67 ans, chef cuisinier vedette à la télévision, qui a vu sa carrière partir en fumée. Accusée de racisme par une ancienne employée et obligée de reconnaître les faits devant la justice, elle est devenue en quelques heures une héroïne – négative, bien sûr – sur Twitter. Le processus est toujours le même : création d’un hashtag ironique par un twitto influent (#PaulasBestDishes, "#lesmeilleursplatsdepaula"), puis déferlement de tweets sarcastiques. Malgré ses excuses, elle a été débarquée de son émission, et son éditeur a annulé la sortie de son nouveau livre. Selon le New York Daily News, le scandale lui aurait fait perdre la bagatelle de 8 millions d’euros.
La liste des victimes de Black Twitter s’allonge
Tous les spécialistes s’accordent à dire que l’éclatement de l’affaire Trayvon Martin, du nom de ce jeune Noir assassiné en Floride, début 2012, par un vigile – et l’énorme mobilisation qui s’est ensuivie – a servi de catalyseur. Depuis, la liste des "victimes" de Black Twitter s’allonge. Et il faut reconnaître que leur procès numérique est parfois un peu expéditif. Prenez le cas de Justine Sacco, 24 ans.
Le 20 décembre 2013, cette responsable de la communication d’un groupe de médias tweete avant de s’envoler pour l’Afrique du Sud : "Je vais en Afrique, j’espère ne pas attraper le sida. Je plaisante : je suis blanche !" Black Twitter n’a pas apprécié, mais alors pas du tout. Après un torrent de réactions outrées, la jeune femme a été licenciée. Elle l’apprendra à l’atterrissage et supprimera son compte du réseau social.
Comme le dit Daniella Gibbs-Leger, une ancienne collaboratrice de Barack Obama à la Maison Blanche : "Ne provoquez pas Black Twitter, sinon Black Twitter s’occupera de vous." Le phénomène fait l’objet de plusieurs thèses et livres aux États-Unis. Et les médias mainstream comme la chaîne CNN s’en emparent pour tenter d’en analyser le fonctionnement et les différents ressorts.
Les Noirs préfèrent Twitter
Si Black Twitter est aussi "puissant", c’est qu’il s’appuie sur une communauté dont les membres sont à la fois nombreux et hyperactifs. Selon une étude publiée en janvier par le think thank Pew Research Center, les Noirs sont moins nombreux que les Blancs à utiliser internet (80 %, contre 87 %), mais ils sont plus présents sur les réseaux sociaux. Quarante pour cent des Africains-Américains âgés de 18 à 29 ans utilisent Twitter (notamment sur leur mobile), contre seulement 28 % des Blancs du même âge.
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