Rwanda – Paul Kagamé : « Je ne menace pas, je mets en garde »
Peu lui importe que les Américains et les ONG n’apprécient ni son discours ni sa méthode. L’important, affirme le chef de l’État rwandais Paul Kagamé, c’est la sécurité du pays. Quel qu’en soit le prix.
S’il est une phrase que les médias ont retenue du discours prononcé le 5 juin en kinyarwanda par Paul Kagamé au pied de la chaîne des Birunga, dans ce qui fut le coeur du "Hutu Power", c’est bien celle-ci.
Peu importe que, pour la foule de paysans massés devant l’estrade, l’important fût ailleurs : dans l’exposé de leurs doléances, histoires de terrains, de vaches, d’accès à l’eau et à l’électricité, longuement égrenées, parfois sous forme de poèmes épiques, devant des ministres et responsables locaux sommés par le président d’y apporter, sur le champ, des réponses concrètes.
"Nous allons continuer à arrêter des suspects et si possible tuer en plein jour ceux qui tentent de déstabiliser le pays" : sentence couperet, comme Kagamé a l’habitude d’en asséner, placée en milieu de discours et aussitôt inscrite dans un double contexte polémique. Un rapport de l’ONG Human Rights Watch – avec laquelle Kigali entretient depuis longtemps des relations conflictuelles – faisant état de la disparition, près de Gisenyi, ville frontalière avec la RD Congo, d’une trentaine de personnes soupçonnées d’être des relais locaux des FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda – rebelles hutus).
>> À lire aussi : quand Kagamé contre-attaque face à HWR
Et la reprise partielle début juin de ces accusations par un communiqué du département d’État américain. Le tout sur fond de (très timide) début de désarmement desdites FDLR dans le Nord-Kivu et de regain de tension entre les armées rwandaise et congolaise dans la région de Goma. Pour J.A., Paul Kagamé s’explique à la fois sur ses propos et sur le contexte dans lequel il les a tenus. Entretien recueilli à Kigali le samedi 7 juin, entre deux pluies d’orage en saison sèche.
Jeune afrique : Votre discours de Rambura a été interprété comme une réplique au communiqué du département d’État américain et au dernier rapport de Human Rights Watch, lesquels critiquent l’action des forces de l’ordre dans le nord-ouest du Rwanda. À juste titre ?
Paul Kagamé : Il n’y a rien de fondamentalement nouveau dans ce que j’ai dit devant les habitants du district de Nyabihu. Le développement est inconcevable sans la sécurité et la stabilité : notre peuple a suffisamment payé pour le savoir. Mais si j’ai tenu à répéter cela lors du meeting citoyen du 5 juin, c’est que deux éléments récents sont intervenus. Le premier concerne la recrudescence d’une certaine insécurité dans le nord et une partie de l’ouest du pays au cours de ces dernières semaines. Des gens ont été tués, y compris l’un des enfants du maire de Musanze [ex-Ruhengeri] lors d’un attentat qui la visait directement.
À l’origine de ces actes terroristes se trouvent bien sûr les groupes armés qui évoluent dans l’est de la RD Congo. Le second élément, ce sont les déclarations et rapports auxquels vous faites allusion et qui ont été produits sans tenir compte du contexte que je viens d’évoquer. Soyons clairs : le monde extérieur peut nous critiquer ou nous applaudir, nous soutenir ou chercher à nous déstabiliser, à la fin des fins, la responsabilité de tout ce qui concerne notre sécurité nous revient à nous et à nul autre.
Mon message s’adresse enfin à ceux qui actionnent et manipulent les lanceurs de grenades : nous défendons notre stabilité et la sécurité de notre peuple dans le respect de la loi et en sachant que ce que nous faisons en ce domaine est observé par l’extérieur, mais cela ne nous empêchera jamais d’être décisifs, proactifs et résolus dans le combat que nous vous menons.
Personne ne disparaît au Rwanda, et personne n’y est interpellé dans un cadre extrajudiciaire.
Cela justifie-t-il les arrestations et disparitions dont vous êtes accusé ?
De quoi parle-t-on ? Nos forces de l’ordre et nos magistrats ont fourni, cas par cas, toutes les explications et tous les éclaircissements nécessaires aux enquêteurs de ces ONG. Pourquoi ont eu lieu ces interpellations ? Qu’est-il advenu des personnes interrogées ? Que prévoit la loi ? etc. Ils ont ensuite décidé de publier un rapport, dans lequel nous n’avons aucun droit à la parole : ce n’est ni sérieux ni professionnel, et encore moins objectif. Personne ne disparaît au Rwanda, et personne n’y est interpellé dans un cadre extrajudiciaire. Il est vrai que nous avons une certaine habitude de ce type d’accusations infondées…
Quand vous affirmez publiquement que vous n’hésiterez pas à abattre vos ennemis en plein jour, vous savez très bien à quel type de réactions vous attendre…
Évidemment. Ce que j’ai voulu dire c’est que nous n’hésitons pas à agir de façon décisive et que si la manière dont nous avons agi jusqu’à aujourd’hui, dans le strict respect de l’État de droit, ne convainc pas les ennemis de notre peuple de renoncer au terrorisme, alors nous passerons à un autre stade, beaucoup plus sérieux. Et peu importe ce qu’en penseront les observateurs ou les gouvernements.
Je trouve d’ailleurs assez ahurissant que des gens qui appliquent chez eux les exécutions capitales et dont les drones multiplient les bavures contre des populations civiles se permettent de nous critiquer sur ce point. Le Rwanda, lui, a eu le courage, au nom de la réconciliation, d’abolir la peine de mort, alors que ses prisons regorgeaient de génocidaires qui l’auraient sans doute méritée.
Votre discours n’était-il pas aussi une forme d’avertissement aux populations de cette région : "Si vous aidez les FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda], vous en subirez les conséquences" ?
Ce que j’ai fait comprendre aux populations ce jour-là, c’est qu’elles étaient, elles aussi, responsables de leur propre sécurité. Ce qui signifie bien sûr qu’elles ne doivent en aucune manière s’associer avec les tueurs, même s’il s’agit de proches parents. Exemple récent : la personne qui a tenté d’assassiner le maire de Musanze était un élu local à la réputation sans tache. L’enquête de police a permis de découvrir que cet homme avait agi sur l’ordre de l’un de ses frères, cadre actif des FDLR, avec qui il était secrètement en contact.
Un avertissement, donc…
Et alors ? Chacun doit comprendre qu’en matière de terrorisme la question de la parenté ne se pose pas. Personne ne doit accepter d’être instrumentalisé. Si vous portez assistance ou que vous fermez les yeux sur l’infiltration de terroristes venus de l’autre côté de la frontière et que ces gens jettent des grenades à l’aveugle sur un marché de Kigali, pensez-vous réellement qu’ils auront vérifié auparavant qu’aucun de vos proches ne figure parmi les victimes ?
Face à la lutte contre le terrorisme, la famille n’existe pas, parce que votre propre famille risque d’être tuée par ceux-là mêmes que vous protégez.
Voilà ce que j’ai dit dans le district de Nyabihu : face à la lutte contre le terrorisme, la famille n’existe pas, parce que votre propre famille risque d’être tuée par ceux-là mêmes que vous protégez. Ce n’est pas une menace que j’ai formulée, mais une mise en garde : ne restez pas les bras croisés, comme si votre indifférence ou, pis, votre complicité n’avait aucune conséquence.
Peu importe, dans le fond, les rapports et les communiqués critiques : vous vous estimez en droit de mettre hors d’état de nuire quiconque porte, selon vous, atteinte à votre sécurité…
Nous nous réservons le droit d’éliminer ceux qui cherchent à nous éliminer. Quand je dis éliminer, ce n’est pas tuer n’importe qui, n’importe où, sans identification précise ni procédures d’usage. Au Rwanda comme en Europe ou en Amérique, il existe des textes légaux, qui encadrent ces solutions extrêmes.
Des rapports malveillants de soi-disant experts, qui manifestement considèrent les victimes rwandaises d’agressions terroristes comme collatérales et qui tendent à légitimer de tels actes, peuvent donc se succéder et donner lieu à des communiqués biaisés. Notre détermination à assurer notre sécurité demeurera absolument sans faille. En répétant cela, je crois que je n’apprends rien à personne.
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Propos recueillis par François Soudan
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