Jean-Paul Kimonyo, politologue : « Le FPR s’est imposé par sa manière de promouvoir l’avènement d’un “nouveau Rwandais” »
Le 16 décembre s’achevait à Kigali le congrès célébrant le 30e anniversaire du Front patriotique rwandais (FPR). Hier rébellion politico-militaire, le parti présidé depuis bientôt vingt ans par Paul Kagame a façonné le « nouveau Rwanda », suscitant tantôt l’admiration, tantôt des critiques acerbes. Le politologue Jean-Paul Kimonyo, par ailleurs militant de la première heure et conseiller à la présidence, revient pour Jeune Afrique sur cette improbable odyssée…
En décembre 1987, Jean-Paul Kimonyo, alors étudiant, vivait en exil au Sénégal après avoir grandi au Burundi – et avant d’émigrer au Canada. Né dans une famille d’anciens notables contraints de fuir le « Pays des mille collines » au moment où s’y instaurait un régime d’apartheid qui ne disait pas son nom, à l’aube des années 1960, il adhéra sans réserve au Front patriotique rwandais (FPR-Inkotanyi), ce mouvement de libération tardif qui allait, vingt-cinq ans après l’indépendance, bouleverser pour longtemps la destinée du Rwanda.
Rentré vivre sur la terre de ses ancêtres au lendemain du génocide, puis devenu conseiller du président Paul Kagame, ce politologue, déjà auteur d’un livre remarqué sur l’histoire du génocide – Rwanda. Un génocide populaire -, vient de consacrer un ouvrage à l’épopée du FPR et à l’édification du « nouveau Rwanda », dont il fut l’un des protagonistes : Rwanda demain ! Une longue marche vers la transformation.
Du 12 au 16 décembre, dans le QG flambant neuf du FPR-Inkotanyi, à la sortie de Kigali, il a participé au 30e anniversaire de l’ex-rébellion devenue « parti-Etat » sous le leadership de Paul Kagame.
Dans ce long entretien, il revient pour Jeune Afrique sur la genèse et l’évolution de ce mouvement aussi méconnu que controversé qui a façonné le Rwanda d’aujourd’hui.
Jeune Afrique : A sa création, en décembre 1987, comment le FPR est-il parvenu à susciter l’adhésion des différentes branches de la diaspora rwandaise, essentiellement tutsie, éparpillées à travers le monde ?
Jean-Paul Kimonyo : Pour les communautés de réfugiés rwandais, ce mouvement avait quelque chose de messianique, tel Moïse guidant son peuple vers la terre promise. L’une des forces du FPR, c’est qu’il avait inscrit dans ses fondements des principes alors partagés par les différentes communautés en exil : une culture rwandaise et une conscience historique affirmées, mais aussi une certaine façon de se comporter, notamment chez les leaders militaires – une droiture un peu surannée, une rigueur –, qui rappelait les guerriers du Rwanda précolonial.
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Le trait d’union entre les différentes branches de la diaspora fut la conscience nationale : quels que soient les conditions de vie ou les pays d’accueil respectifs des réfugiés, cette conscience d’être rwandais les imprégnait en profondeur.
Elle était d’autant plus marquée chez les anciens, mais ma génération – celle du FPR – l’avait reçue en héritage. Le Rwanda était l’alpha et l’omega de l’existence de nos parents. Dans les pays où nous vivions, nous étions considérés comme des étrangers indésirables, ce qui a exacerbé ce sentiment d’appartenance. Le FPR a su canaliser cette conscience nationale en nous offrant les moyens d’atteindre un objectif concret : retourner au Rwanda.
C’était un mouvement clairement à gauche, qui tenait un discours révolutionnaire
Se revendiquait-il d’une idéologie particulière ?
A l’origine, le FPR a un peu choqué les communautés rwandaises, traditionnellement conservatrices. C’était en effet un mouvement clairement à gauche, qui tenait un discours révolutionnaire. Dans le même temps, il a restauré la confiance des Rwandais en donnant l’impression d’un mouvement rigoureux, organisé, porteur d’une vision pour l’avenir du pays.
À l’époque, la diaspora était constituée d’une mosaïque de groupuscules et d’intellectuels de tendances diverses. Et le FPR s’est imposé naturellement à ces mouvements disparates par sa dimension révolutionnaire : cette manière de promouvoir l’avènement d’un “nouveau Rwandais”.
Outre le retour des exilés tutsis sur leur terre natale, quel type de projet politique le FPR incarnait-il ?
Il affichait très clairement un projet de transformation nationale. Il ne s’agissait pas seulement de rentrer au Rwanda mais aussi de transformer le pays. L’une des raisons qui nous contraignaient à l’exil tenait aux structures politiques existantes sous la présidence de Juvénal Habyarimana. Mais le FPR envisageait aussi de modifier fondamentalement les structures économiques du pays. Car à l’époque, malgré la motivation sentimentale du retour, nous savions que la vie au Rwanda n’avait rien d’une sinécure.
Quelles étaient les principales mesures de rupture prônées par le FPR ?
D’abord, se débarrasser du sectarisme ethnique au profit de l’unité nationale. Ensuite, transformer la gouvernance, notamment en luttant contre la corruption. Troisièmement, promouvoir le développement du pays. On peut encore citer la volonté de se libérer de l’impérialisme occidental.
Durant les années de guerre, d’octobre 1990 à août 1993, date des accords d’Arusha, le FPR imaginait-il que la pression militaire exercée sur le régime Habyarimana pourrait un jour produire, en réaction, des massacres de l’ampleur de celle qu’on a connue en 1994 avec le génocide ?
Les plus anciens parmi nous étaient sans doute ceux qui appréhendaient le plus un scénario comme celui-là, car ils avaient connu les vagues de massacres anti-Tutsis des années 1960. Mais globalement, si nous savions que nous nous exposions à certaines purges ciblées, nous ne pouvions imaginer que l’Etat rwandais se livrerait à une campagne de massacres de cette ampleur. Vis-à-vis de la communauté internationale, cela nous paraissait inconcevable. Avec le recul, peut-être que dans le feu de l’action nous nous sommes caché inconsciemment certains risques…
La communauté internationale a eu la tentation de se substituer aux nouvelles autorités. Le FPR a catégoriquement refusé
Au lendemain du génocide, la communauté internationale, qui était restée passive durant les massacres, va déployer un dispositif humanitaire impressionnant pour venir en aide aux réfugiés hutus ayant fui dans les pays voisins, en particulier l’ex-Zaïre. Comment s’est-elle positionnée vis-à-vis du Rwanda ?
De façon largement hostile au nouveau régime. La première raison, c’est que le FPR lui avait fait perdre la face par rapport à la stratégie que l’ONU avait privilégiée entre avril et juillet 1994 : à savoir une négociation entre le FPR et les génocidaires. Son optique consistait alors à obtenir un cessez-le-feu entre belligérants afin d’apaiser les tueurs.
En parallèle, un volet d’aide humanitaire s’est également développé à l’intérieur du Rwanda. Dans un premier temps, les Nations unies, les donateurs et les grandes ONG ont disputé au nouveau régime sa légitimité politique, considérant que le FPR, non seulement n’était pas capable de gérer la destinée du pays mais, de plus, n’était pas en droit d’y prétendre. La communauté internationale a alors eu la tentation de se substituer aux nouvelles autorités. Or le FPR a catégoriquement refusé cette logique, leur répondant en substance : « Si vous prétendez intervenir dans ce pays, ce sera avec nous ou pas du tout ! »
Comment cette défiance de la communauté internationale a-t-elle évolué par la suite ?
Pendant un certain temps, la France – principale alliée du régime Habyarimana – s’est montrée hostile aux nouvelles autorités, entraînant notamment derrière elle l’Union européenne. Mais progressivement, les pays nordiques ou l’Allemagne ont considéré que l’aide apportée au Rwanda devait passer par ceux qui géraient le pays, après avoir stoppé le génocide. La situation s’est alors quelque peu normalisée.
En 1995, la tension entre le régime et les ONG a tout de même atteint un point de rupture…
Certaines organisations non gouvernementales se comportaient au Rwanda comme en pays conquis. Certaines adoptaient des quotas ethniques, d’autres incitaient la population à s’opposer au nouveau régime… Elles voyaient le Rwanda comme un Etat failli et se considéraient comme une autorité de substitution.
L’État rwandais a alors décidé d’y mettre de l’ordre et les a contraintes à certaines obligations : préciser leur objet, détailler leur plan de travail, s’immatriculer auprès du ministère de l’Administration locale… Un large partie des ONG a accepté cette nouvelle règle du jeu. Celles qui l’ont refusée ont été expulsées du pays.
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On a assisté à une compétition quant à savoir qui détenait la légitimité morale pour gérer le pays
Faut-il voir dans cet épisode ancien l’origine du bras de fer qui perdure aujourd’hui entre certaines ONG internationales et le gouvernement rwandais ?
Le positionnement de certaines ONG par rapport au Rwanda découle en effet en partie de cette période-là. On a assisté à l’époque à une compétition quant à savoir qui détenait ce qu’en anglais on désigne par « moral high ground » – autrement dit, la « légitimité morale » pour gérer le pays.
De nombreux observateurs considèrent qu’au lendemain du génocide, le gouvernement d’union nationale n’était qu’un leurre, le FPR détenant la réalité du pouvoir…
A l’époque, les alliés politiques du FPR avaient une réelle importance : un certain nombre de ministres, de cadres et de hauts fonctionnaires de l’administration appartenaient aux différents partis d’avant 1994. Mais en matière de gestion des populations, l’administration locale ayant totalement disparu du fait du génocide, les « kadas » [« cadres » : les chevilles ouvrières du FPR] ont joué un rôle essentiel en termes de logistique et de conscientisation.
Donc il est vrai que l’administration quotidienne, au niveau local, dépendait le plus souvent des cadres politiques du FPR. De même, concernant les dimensions sécuritaires – les forces génocidaires continuaient de harceler le pays depuis le Congo –, il y avait une prééminence des militaires issus de l’Armée patriotique rwandaise (APR). Mais sur les volets politiques, législatifs ou économiques, le pouvoir était réellement partagé.
De 1994 à 2000, Paul Kagame n’est officiellement « que » vice-président et ministre de la Défense. Mais les mêmes observateurs considèrent que c’est lui qui tirait les ficelles en coulisses…
Paul Kagame est un homme très respectueux de la légalité – voire pointilleux sur cette question. A l’époque, il a respecté les règles du jeu, notamment la prééminence du président Pasteur Bizimungu et le fonctionnement collégial du parti en matière de prise de décisions.
Ce qui est vrai, en revanche, c’est qu’en tant qu’ancien commandant en chef de l’APR, qui avait gagné la guerre et mis un terme au génocide, il jouissait d’une forte aura. Mais cela relevait de l’influence, et non d’un pouvoir de décision en tant que tel. C’est d’ailleurs parce qu’il n’exerçait pas la réalité du pouvoir qu’on a constaté tout le désordre qui a entraîné une grave crise politique, à la fin des années 1990. Si Paul Kagame avait été réellement aux manettes à l’époque, les choses ne se seraient pas passées ainsi.
« Kicukiro 2 » a été un moment extrêmement important car il a donné à Paul Kagame la légitimité d’imposer ses vues
Quelles étaient les origines de cette crise ?
Au lendemain du génocide, le Rwanda était devenu une sorte de Far West. Des dizaines de milliers de réfugiés étaient revenus vivre au pays, où tout était détruit : il fallait se loger et survivre, et on a assisté à des pratiques tout sauf orthodoxes. Certains ont trouvé leur compte dans le désordre qui régnait alors, notamment des officiers de l’APR.
A certains égards, la situation présentait des similitudes avec celle qui avait prévalu en Ouganda après la prise du pouvoir par la NRA [la rébellion conduite par Yoweri Museveni, épaulé par un certain nombre d’exilés rwandais dont Paul Kagame], en 1986. D’anciens rebelles s’étaient alors payés sur la bête, pillant sans états d’âme. Chez quelques politiques et militaires influents revenus d’Ouganda, on a assisté à une tentation de répliquer un modèle basé sur le népotisme, le trafic d’influence et la corruption.
Les « kadas » ont alors fait entendre leur mécontentement…
Le FPR va d’abord adopter une série de réformes en interne pour tenter d’endiguer ces dérives. Mais très vite, on va assister à une véritable révolte des « kadas » contre leur propre direction, accusée d’avoir trahi les idéaux du FPR.
Comment la situation s’est-elle clarifiée ?
En février 1998, le FPR convoque une large réunion de son bureau politique et de son comité exécutif national afin de renouveler ses instances, qui ne l’avaient plus été depuis 1993. Lors du vote, tous les responsables soupçonnés de corruption sont écartés.
C’est également à cette occasion que Paul Kagame est élu pour la première fois « chairman » [président] du FPR. Ce congrès, baptisé « Kicukiro 1 », donnera pourtant l’impression que rien n’a fondamentalement changé, notamment car les responsables fautifs ne subissent aucune sanction véritable : certains sont démis de leur fonction au sein du parti tout en restant ministres.
En novembre 1998, la révolte reprend donc de plus belle. Le FPR organise alors un deuxième congrès afin que toutes les questions sensibles soient mises sur la table. « Kicukiro 2 » tourne au grand déballage, avec une revendication principale : que cesse cette atmosphère de corruption à la tête de l’État.
Il s’agissait véritablement d’une confrontation entre des options politiques antagonistes
Comment Paul Kagame se positionne-t-il lors de cette lutte intestine ?
Au sein du parti, certains commencent à s’en prendre ouvertement à lui : « Tu es le nouveau président du FPR, nous avons confiance en toi, mais rien n’a vraiment changé ! » Certains comparent même l’état-major du parti à l’akazu, le petit clan affairiste qui entourait Juvénal Habyarimana. A la fin de ce deuxième congrès, Paul Kagame prend la parole et déclare en substance à ses détracteurs : « Je vais vous montrer que je n’ai rien à voir avec l’akazu ! »
Deux semaines plus tard survient un remaniement ministériel qui ressemble fort à une purge politique. Les responsables du FPR vus comme compromis ou trop complaisants à l’égard de la corruption sont alors débarqués, ce qui est d’autant plus douloureux que certains s’étaient distingués au cours des années de lutte. Il faut aussi savoir que parmi les anciens hauts responsables du FPR qui allaient fonder plusieurs années plus tard le Rwanda National Congress [RNC, parti d’opposition en exil], certains faisaient alors partie des personnes mises à l’écart.
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Dès lors, Paul Kagame, qui sera désigné président de la République en 2000 avant d’être élu en 2003, devient l’homme fort du régime…
Le clivage qui s’est révélé à cette période dépassait les cas d’enrichissement personnel. Il s’agissait véritablement d’une confrontation entre des options politiques antagonistes. Certains responsables étaient politiquement hostiles à la transparence, aux réformes, à la lutte contre la corruption… « Kicukiro 2 » a été un moment extrêmement important car il a donné à Paul Kagame la légitimité d’imposer ses vues.
C’est également durant cette période qu’ont été mises en œuvre les discussions d’Urugwiro [du nom du complexe présidentiel, à Kigali], des sessions hebdomadaires associant pendant plusieurs mois toutes les strates de la société. Il s’agissait de déterminer par consensus les axes d’une transformation en profondeur du pays. C’est là qu’ont été définies les bases du développement qui a suivi, dans tous les domaines.
Si ses méthodes renvoyaient à certains mouvements révolutionnaires d’inspiration marxiste, le fond se voulait pragmatique
Qu’est-ce qui caractérise l’approche de Paul Kagame en matière de gouvernance ?
Il est intransigeant concernant le respect des règles. Il y a également chez lui une exigence de résultats – qui est toutefois proportionnée à ce que chacun est en mesure de fournir. Mais lorsqu’il a accédé au pouvoir, Paul Kagame s’est abstenu de pratiquer une vendetta politique contre ceux qui avaient pu fauter à titre individuel : il a d’abord tenu à développer un appareillage structurel destiné à instaurer une forme de transparence et de probité publique. C’est lui qui a poussé pour que soient créées diverses institutions en la matière. A partir de son accession à la présidence, en 2000, la priorité a donc porté sur la mise en place d’institutions susceptibles de donner un cadre à une gouvernance exigeante.
Le Rwanda a ensuite navigué entre des influences très libérales, et d’autres plus sociales et étatistes…
Le FPR se définissait comme un « front », sans idéologie particulière. Si ses méthodes renvoyaient à certains mouvements révolutionnaires d’inspiration marxiste, le fond, lui, se voulait pragmatique. A savoir : s’inspirer de ce qui fonctionne sans se fixer sur des chapelles idéologiques.
Il est clair que le Rwanda a suivi une voie plutôt libérale car, au fond, il n’y avait pas vraiment d’alternative. Du fait de la faiblesse de l’État et du tissu économique national au lendemain du génocide, le gouvernement a dû s’ouvrir beaucoup aux investissements extérieurs.
Le FPR s’était battu jusqu’en 1994 contre un régime qui avait longtemps été basé sur un système de parti unique, face auquel il revendiquait une forme d’ouverture politique. Or aujourd’hui, le reproche est régulièrement fait au régime de museler les opinions divergentes. Pourquoi cette contradiction ?
Dans ce qu’on qualifie d’entraves aux libertés, beaucoup de choses découlent de la configuration constitutionnelle et politique adoptée par les Rwandais au cours des vingt dernières années. Pour ce qui est de la configuration politique, elle a été en grande partie définie lors des discussions d’Urugwiro dont je viens de parler. Celles-ci ont été l’occasion de revisiter les crises politiques vécues par le pays, dont les conséquences, comme chacun sait, ont été dramatiques.
Les participants se sont donc prononcés en faveur d’une « démocratie de consensus », basée sur un certain nombre de critères dont le partage du pouvoir : aucun parti ne peut détenir plus de 50 % des postes ministériels ; le président de l’Assemblée nationale ne peut avoir la même couleur politique que le président de la République ; un forum des partis politiques leur permet d’exposer leurs griefs dans un cadre bien défini, etc. Certes, le FPR est dominant, mais d’autres partis sont associés à la gestion du pays.
Pendant Urugwiro, un certain nombre de participants s’étaient prononcés contre le multipartisme en déplorant l’expérience des années 1991-1994, qui avait accouché de l’extrémisme, de la zizanie et in fine du génocide. Auparavant déjà, les expériences vécues en 1957 et 1963 s’étaient soldées par des massacres. Le multipartisme existe aujourd’hui au Rwanda, mais il est pondéré par des lois : celle sur les partis politiques, celle contre l’idéologie du génocide…
C’est vrai, notre Constitution bride jusqu’à un certain point les aspérités politiques
Il reste que plusieurs mouvements politiques ne peuvent y voir leur existence reconnue…
Il est difficile d’arrimer à un tel système certaines voix venues de l’extérieur, notamment lorsqu’elles font preuve d’un radicalisme excessif. Or c’est ce système que les Rwandais se sont choisi au vu des expériences passées. C’est vrai, notre Constitution bride jusqu’à un certain point les aspérités politiques.
Outre les textes de loi, il y a aussi au Rwanda un état d’esprit qui cherche à promouvoir une gestion consensuelle de la vie politique, au détriment des voix discordantes trop radicales. Cette manière de limiter certaines libertés n’est pas pour autant une fin en soi : c’est un moyen d’atteindre des objectifs, au premier rang desquels la préservation et le renforcement de l’unité nationale.
Quand on voit le niveau de développement auquel le Rwanda est arrivé, et quand on sait d’où il est parti en 1994, ce stade de progression aurait été impossible à atteindre sans cette forme de cohésion nationale. Le type de système que certains voudraient nous voir adopter nous ferait reculer en matière de développement.
Pourtant, des pays vus comme plus libéraux ont tout de même atteint un haut niveau de développement…
Certains en Occident ont la mémoire courte. Prenons la période de l’après-guerre, marquée par un violent conflit idéologique entre le bloc communiste et les pays alliés des Etats-Unis. Durant une longue période, les libertés publiques n’ont pas été aussi débridées qu’on aime à le penser rétrospectivement. Quant au système de consensus politique, avec des coalitions régulièrement reconduites au pouvoir, on l’a vu prospérer en Belgique, en Suisse, aux Pays-Bas… En outre, ces pays avaient déjà atteint un certain niveau de développement, alors que le Rwanda, lui, repartait de zéro.
Des études convergentes réaffirment aujourd’hui que la consolidation de la démocratie est directement liée au niveau de développement. Et l’on constate que la mise en place d’une démocratie à l’occidentale dans un système d’extrême pauvreté, marqué par des troubles insurrectionnels, favorise un haut niveau de violence.
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Certains, à l’inverse, notamment en Afrique, célèbrent le modèle rwandais et s’interrogent sur ce qui distingue ce pays d’autres sur le continent, a priori mieux dotés, qui semblent encore loin d’atteindre son niveau de développement…
Peut-être cela tient-il à un certain sens du sacrifice. Il ne faut pas perdre de vue que lorsque nous acceptons qu’un certain nombre de libertés ou de droits soient bridés, c’est un sacrifice que nous consentons de façon assumée.
Mais la spécificité du Rwanda, selon moi, c’est avant tout l’enracinement de la conscience nationale. Les Rwandais s’identifient très fortement à leur nation, à leur Etat ; c’est un peu leur religion. Ce n’est pas quelque chose qui nous a été imposé : on le vit de l’intérieur. On peut contraindre un Rwandais à quitter le Rwanda, mais on ne fera jamais sortir le Rwanda d’un Rwandais.
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