Des astuces et des astucieux
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Tshitenge Lubabu M.K.
Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.
Publié le 15 juin 2014 Lecture : 2 minutes.
Savoir pourquoi les Kinois – mais ils ne sont pas les seuls – ont toujours plus d’un numéro de téléphone et plus d’un appareil téléphonique a longtemps occupé mon esprit. Vous me direz sans doute qu’on peut trouver mieux pour occuper son temps. Sans doute. Mais vu l’importance prise par le téléphone mobile à travers le monde et particulièrement en Afrique, le jeu en valait la chandelle.
Au début, je m’imaginais que les Kinois frimaient. Qu’ils voulaient étaler des richesses qu’ils ne possèdent point. D’autant que ceux qui les jugent de loin les réduisent à la sape, cette espèce de dandysme clownesque, apanage de quelques personnages déjantés. Combien de fois certains camarades, en Occident, ne m’ont-ils pas, pour rigoler sans doute, traité de sapeur ?
Si les Kinois ont plus d’un numéro de téléphone et plus d’un appareil téléphonique, c’est, d’abord, pour ne pas se couper du monde dans un pays où le téléphone fixe a quasiment disparu. Ensuite, c’est parce que le système d’abonnement n’existe pas pour ces millions de personnes sans emploi connu, ni d’ailleurs pour les salariés et autres fonctionnaires payés au lance-pierres.
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Dans ces conditions, comment les Kinois s’en sortent-ils ? Tout simplement en se rendant maîtres de leurs communications, ne payant que ce qu’ils consomment. Ils ont donc, pour la plupart, des puces des différents opérateurs locaux de téléphonie mobile. Quand ils appellent leurs correspondants, ils composent le numéro qui relève du même opérateur. Ainsi, ils épargnent les unités qu’ils achètent plusieurs fois par jour afin de pouvoir toujours téléphoner.
Mais s’ils ne veulent pas du tout consommer leur crédit, ils se contentent de biper le correspondant, qui peut les rappeler si cela lui chante. Il s’agit d’une survie téléphonique au quotidien. S’il m’arrive de vous appeler et que, tout d’un coup, la communication s’arrête, ne vous imaginez pas que je viens d’être emporté par une crise cardiaque. Non, ayez le bon réflexe en me rappelant parce que je ne pourrai plus le faire jusqu’au prochain… achat d’unités. Vous voilà avertis !
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Maintenant vous vous demandez comment les Kinois qui, dans leur écrasante majorité, n’ont pas d’emploi connu, s’arrangent pour téléphoner tous les jours. Je vous le jure, je n’ai jamais vu plus astucieux qu’eux. Ils ont inventé toutes sortes de nouveaux métiers pour survivre. Tenez : pendant la saison des pluies, le marché central de Kinshasa est un océan de boue et d’ordures.
Certains jeunes y trouvent leur compte en allant s’installer aux abords du marché avec des seaux d’eau, du savon et des serviettes pour laver et essuyer les pieds de ces dames. D’autres se transforment en passeurs lorsque certaines artères de la capitale sont inondées, en portant sur leur dos ceux qui ont peur d’être emportés par les flots.
Et je ne parle pas de tous les vendeurs ambulants d’arachides, d’eau en sachet, de fruits de saison, de camelote, de tout, de rien, de vent. Et de ceux qui rechargent les téléphones dans une ville en proie à des coupures d’électricité intempestives. À Kinshasa, l’astuce et l’ingéniosité font partie d’un art de vie et de… survie. Heureusement !
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