Riad Sattouf : « Être métis rend caduque toute idée de patriotisme »
Explorateur inlassable des mondes de l’enfance, le dessinateur à succès Riad Sattouf se penche sur la sienne – sans faux-semblants.
Mis à jour le 2 février 2015, à 11h50.
Cinq ans après avoir remporté son premier Fauve d’or du meilleur album pour le troisième tome de Pascal Brutal, Riad Sattouf a récidivé, dimanche, pour le premier volet de l’Arabe du futur. En juin 2014, il répondait aux questions de "Jeune Afrique", quelques jours après la sortie de l’ouvrage.
L’auteur de BD et réalisateur Riad Sattouf, né en 1978 à Paris d’un père syrien et d’une mère bretonne, vient de publier L’Arabe du futur, une bande dessinée autobiographique, mais pas trop, dans laquelle il revient sur le quotidien de sa famille, entre 1978 et 1984, dans la Libye de Kadhafi et la Syrie de Hafez al-Assad.
L’histoire s’articule autour du personnage du père, Abdel-Razak, docteur en histoire, panarabe admiratif de certains dictateurs de la région, qui compte bien faire de son fils un "Arabe du futur". Une nouvelle fois, l’auteur de Retour au collège et des Beaux Gosses fait mouche en nous offrant un récit redoutablement efficace, qui préfère au commentaire politique la description drôle et précise de l’intimité familiale. Intimité dans laquelle se donne à voir toute la complexité du monde. Entretien.
jeune afrique : Quelle a été votre matière première pour écrire L’Arabe du futur ?
Riad Sattouf : Les souvenirs. Je me suis uniquement servi de ma mémoire, même si elle pouvait être imparfaite et comporter des erreurs. Je voulais partir de là pour après, éventuellement, dans les albums suivants, commenter, modifier en revenant sur certains éléments apportés par des proches.
Ce livre est une description de la vie quotidienne… Je n’ai pas voulu faire un livre politique au sens propre du terme. Je raconte des faits et des actions. C’est ce qui m’intéresse. J’évite les commentaires… Je voulais parler de ce que je connaissais : la vie intime d’une famille, la mienne, dans ces endroits si particuliers et à ces époques-là. Libre ensuite au lecteur de se faire son opinion !
Mon père n’était pas pour la démocratie. Il était fasciné par les leaders arabes comme Mouammar Kadhafi, Saddam Hussein ou Hafez al-Assad…
Qu’est-ce qui vous a décidé à écrire sur votre enfance ?
J’avais une partie de ma famille qui vivait près de Homs et, quand il y a eu les premiers troubles, j’ai voulu les aider à sortir de Syrie. Mais j’ai eu beaucoup de problèmes pour avoir les autorisations en France. Et je me disais que si j’arrivais à les faire venir, je raconterais toute l’histoire depuis le début pour au moins en arriver au moment de la mairie, y dessiner les fonctionnaires français et ce qu’ils me racontent, histoire de montrer la réalité de la chose !
Votre père, personnage central de ce premier volume, apparaît comme un homme ouvert à la modernité, mais faisant aussi preuve d’un certain autoritarisme…
Mon père était originaire d’un petit village syrien, près de Homs. Comme la plupart des jeunes de sa génération, son idole, c’était Nasser, et il était donc pour le panarabisme, l’éveil du monde arabe à la modernité. Il était laïc et souhaitait que le monde arabe sorte de l’obscurantisme religieux, accède à l’éducation, mais il avait de nombreuses contradictions : il croyait tout de même à la magie, aux forces du mal, au diable… Il n’était pas pour la démocratie. Il était fasciné par les leaders arabes comme Mouammar Kadhafi, Saddam Hussein ou Hafez al-Assad… Il considérait qu’il fallait forcer les gens à changer.
Comment expliquez-vous qu’après avoir obtenu son doctorat d’histoire à la Sorbonne, il décline une proposition de poste à Oxford ?
Il a refusé tout simplement parce qu’il voulait retourner dans le monde arabe. Il avait un complexe d’infériorité et voulait prouver qu’il était supérieur aux Européens. Il détestait le mélange qu’il ressentait de commisération et de racisme envers le monde arabe, en France… C’était sans doute en partie dans sa tête.
Et il postule à Tripoli. Vous souvenez-vous précisément de cette époque ?
C’est ce que je raconte dans le livre. J’ai beaucoup de souvenirs visuels de cette époque, des souvenirs d’émotion, de sensations, de couleurs, d’odeurs… Des souvenirs souvent plus nets que ceux de la semaine dernière ! J’ai reconstitué les dialogues, pour rendre l’ensemble intelligible.
Votre mère, qu’il a rencontrée à la Sorbonne, est assez effacée. Elle semble accepter sans broncher les décisions de votre père. Les conditions de vie en Libye, par exemple, ne l’ont pas effrayée ?
C’était une femme qui suivait son mari et qui élevait ses enfants, une femme au foyer. Je vais raconter dans le livre l’évolution de son comportement. Elle croyait en des jours meilleurs.
Avez-vous côtoyé des Libyens à Tripoli ?
Je n’ai quasiment jamais vu de Libyens. Nous vivions dans une cité pour expatriés. Mes copains étaient yéménites et indiens. L’un de mes plus vieux souvenirs de cette époque, c’est celui de mon père se faisant insulter dans la queue pour la coopérative [où les Libyens venaient chercher leur nourriture].
Les enfants sont très présents dans le livre. Ils se montrent d’ailleurs parfois cruels, notamment dans le village natal de votre père, près de Homs…
Je suis très intéressé pas l’enfance, l’adolescence. J’aime explorer ce thème, observer chez les enfants les échos de l’éducation qu’ils ont reçue des adultes. Les mômes peuvent être cruels par nature, quelle que soit leur origine.
Avant le début du conflit, vous vous rendiez régulièrement en Syrie ?
Non, absolument pas. Si j’y étais retourné, j’aurais dû faire mon service militaire. Je préférais être à Paris et vivre la vie d’artiste plutôt que sur le plateau du Golan avec une kalachnikov rouillée… J’ai eu cette chance inouïe d’avoir le choix.
Est-ce qu’il y a un changement des conditions de vie en Syrie entre la période de Hafez al-Assad et celle de Bachar ?
Moi j’ai connu la période de Hafez al-Assad et la vie dans un village près de Homs. Je crois que, de ce que m’ont raconté des membres de ma famille, le pays avait énormément changé ensuite. Il s’était vraiment modernisé. À mon époque, c’était vraiment un pays soviétique très pauvre où, par exemple, il fallait attendre cinq ans pour avoir une voiture, où il y avait des coupures de courant et d’eau, avec des militaires partout. On m’a raconté par exemple qu’il y avait des cinémas à Damas qui passaient des films américains jusqu’avant la guerre. Je trouvais ça hallucinant !
Dans votre livre, on devine que la majorité du pays, qui est sunnite, se sent mise à l’écart par la communauté alaouite au pouvoir…
En effet. C’est comme ça que j’explique qu’il n’y a pas de portrait de Hafez dans le village de ma famille. À l’époque, quand tu étais sunnite, il était difficile d’accéder à un poste important. C’est une réalité historique connue : cette minorité dirigeait le pays et se donnait comme légitimité le fait de protéger les autres minorités. À l’époque, les communautés se contentaient de vivre côte à côte.
En France, vous aviez des contacts avec la communauté syrienne ?
Non pas du tout. Je ne suis absolument pas dans une démarche de "retour aux origines". Étant franco-syrien, je peux difficilement me définir en tant que français ou syrien. C’est ce qu’il y a de bien dans le fait d’être métis, ça rend caduque toute idée de patriotisme !
Et tout racisme…
Oui. Même si la réaction raciste est quelque chose de partagé par tous les peuples du monde. Tous les êtres humains ont un fond raciste, je pense. Le racisme peut revêtir tout un tas de formes différentes, entre des peuples, des religions, des régions, des villages… Je trouve intéressant d’observer cela et d’en parler ! Évidemment, le concept "d’être fier de là d’où on vient" m’échappe complètement.
Sur Facebook, vous vous êtes amusé de ce que votre livre soit en tête des ventes au lendemain des élections européennes, où le Front national arrivait en tête en France. Est-ce paradoxal ?
Je ne sais pas, je crois vraiment que la France est l’un des derniers endroits sur terre ou l’on peut raconter ce qu’on veut, dessiner ce qu’on veut, et où un dessinateur de BD peut faire des livres lus par des gens qui ne lisent pas de BD et susciter un intérêt au-delà du microcosme de la BD. Je suis désolé de la victoire du FN, mais une part de moi reste convaincue que ce parti n’arrivera jamais au pouvoir. Les gens aiment trop la culture, aiment trop les idées pour laisser faire une chose pareille !
D’une manière générale, vous êtes assez réticent à parler de politique. Pourquoi ?
En ce qui me concerne, je suis gêné quand un artiste s’engage en politique, je trouve ça toujours un peu ridicule. Je m’exprime dans mes livres, c’est tout ce que je sais faire !
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Culture
- Esclavage : en Guadeloupe, un nouveau souffle pour le Mémorial ACTe ?
- Janis Otsiemi et la cour de « Sa Majesté Oligui Nguema »
- Fally Ipupa : « Dans l’est de la RDC, on peut parler de massacres, de génocide »
- Pourquoi tous les Algériens ne verront pas le film sur Larbi Ben M’hidi
- Francophonie : où parle-t-on le plus français en Afrique ?