Entre passion et révolte sociale, le Brésil s’enflamme pour son Mondial

Entre crise sociale et espoir de voir la Seleção remporter un sixième titre, le pays vibre à l’heure du Mondial (12 juin-13 juillet). Pour le meilleur et pour le pire.

Le mythique stade Maracana de Rio, où se jouera la finale, peut accueillir 74698 spectateurs. © YASUYOSHI CHIBA / AFP

Le mythique stade Maracana de Rio, où se jouera la finale, peut accueillir 74698 spectateurs. © YASUYOSHI CHIBA / AFP

Alexis Billebault

Publié le 11 juin 2014 Lecture : 4 minutes.

Le Brésil ne s’est jamais complètement remis de la tragédie du 16 juillet 1950. Sa défaite face à l’Uruguay (1-2) au stade Maracanã de Rio fut un véritable traumatisme. À tel point que, aujourd’hui encore, le pays reste marqué par les scènes de désespoir collectif qui suivirent l’affront infligé par le voisin uruguayen. Plusieurs supporters de la Seleção, l’équipe nationale, se seraient même suicidés… C’était il y a soixante-quatre ans et, depuis ce funeste jour d’hiver austral, le Brésil s’est largement consolé en remportant cinq fois la Coupe du monde (en 1958, 1962, 1970, 1994 et 2002), mais à chaque fois loin de chez lui.

Sur cette terre d’Amérique du Sud où la passion du football dépasse parfois les limites du raisonnable, le seul remède pour effacer ce drame national passe par la conquête d’un sixième titre mondial à domicile. Et si possible en y mettant la manière, puisque le géant latino, presque unanimement considéré comme "le pays du football", à défaut d’en être le berceau, est depuis des décennies la vitrine du beau jeu.

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Le vainqueur : en Europe ou en Amérique du Sud

Hôte de la 20e édition de la Coupe du monde, le Brésil a statistiquement toutes les chances d’atteindre son objectif. Depuis la première édition, en 1930, aucune sélection européenne n’a remporté le tournoi lorsqu’il était organisé sur le continent américain (1930, 1950, 1962, 1970, 1978, 1986, 1994). Ce n’est qu’une donnée, mais elle en dit long sur la pression qui pèse sur les épaules de Luiz Felipe Scolari, l’actuel sélectionneur des Auriverde ("or et vert", couleurs du drapeau et du maillot brésiliens), rappelé d’urgence en novembre 2012 par la fédération nationale.

Dernier entraîneur à avoir rapporté le trophée au pays, en 2002, ce sosie non officiel de l’acteur américain Gene Hackman a abrégé le mandat de Mano Menezes, jugé trop austère et pas assez ambitieux dans le jeu. Depuis son retour, la Seleção a remporté la Coupe des confédérations en 2013 (3-0 en finale, contre l’Espagne). Même si aucun pays organisateur n’est devenu champion du monde depuis la France, en 1998, le Brésil, avec, son jeune prodige, Neymar (FC Barcelone), son taulier, Thiago Silva (PSG) et l’avantage de jouer à domicile, endosse le rôle de favori. Comme toujours, finalement.

Cela suffira-t-il ? L’Espagne, championne du monde et d’Europe en titre (en 2010 et 2012), n’a pas donné de signes de faiblesse ces derniers mois, et son palmarès depuis quatre ans fait d’elle l’incontestable autre favori. Derrière ce duo, inutile de chercher ailleurs qu’en Europe ou en Amérique du Sud un vainqueur potentiel. Le Vieux Continent a son bataillon de prétendants (Allemagne, Italie) et d’outsiders (Portugal, Angleterre, Pays-Bas, Belgique), auxquels il est à la fois tentant et risqué d’y intégrer la France, tant cette sélection peut décevoir le vendredi et (presque) se réconcilier avec ses supporters le mardi, comme ce fut le cas lors du barrage contre l’Ukraine (0-2, 3-0) en novembre 2013. De l’autre côté de l’Atlantique, seule l’Argentine de Lionel Messi pourrait venir torpiller les rêves de conquête du Brésil, son meilleur ennemi.

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Sans faire offense aux autres représentants européens et sud-américains ou à ceux de l’Afrique, de l’Asie ou de l’Amérique du Nord, on ne voit guère la Bosnie-Herzégovine, la Corée du Sud, l’Équateur, les États-Unis ou le Cameroun se hisser au sommet. Cette quasi-certitude n’enlève rien aux glorieux aléas du sport. Ponctuellement, des sélections que personne n’attendait si haut parviennent à bousculer l’ordre établi, en atteignant les quarts de finale (Cameroun en 1990, États-Unis et Sénégal en 2002, Ukraine en 2006, Ghana en 2010) et même les demi-finales (Suède et Bulgarie en 1994, Croatie en 1998, Turquie et Corée du Sud en 2002, Uruguay en 2010).

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Mais cette Coupe du monde continue de susciter beaucoup d’inquiétudes. Certains stades ne seront pas complètement achevés le 12 juin, et les voyageurs risquent de connaître quelques contrariétés pour se déplacer dans cet immense pays qu’est le Brésil, où les prix ont déjà commencé à flamber.

Les vraies préoccupations portent sur la santé, l’éducation, la sécurité et les infrastructures

Les autorités craignent également que cette 20e édition du Mondial soit perturbée par des mouvements de contestation sociale. Pour l’avocat d’affaires Charles-Henry Chenut, installé à São Paulo et Belo Horizonte, ce scénario semble inéluctable. "Les contestataires sauront s’emparer de la caisse de résonance que peut constituer une Coupe du monde. N’oublions pas que l’élection présidentielle aura lieu en octobre prochain", explique ce fin connaisseur de la société brésilienne, également conseiller du commerce extérieur de la France au Brésil. "La présidente de la République, Dilma Rousseff, est très critiquée, poursuit-il. L’exposition médiatique de ce tournoi va permettre aux mécontents de se faire entendre, de manière violente pour les plus radicaux, et de faire émerger des leaders."

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Lors de la Coupe des confédérations en 2013, les émeutes qui avaient éclaté dans certaines villes accueillant la compétition avaient permis de mieux cerner les revendications des citoyens. "La hausse du prix du ticket de bus n’était qu’un prétexte. Les vraies préoccupations portent sur la santé, l’éducation, la sécurité et les infra­structures. Les gens souffrent de l’inflation, de la corruption, et ils ne comprennent pas pourquoi l’État a dépensé autant d’argent pour une Coupe du monde alors que des hôpitaux tombent en ruine ! Sans compter que les pouvoirs publics n’ont pas bien vendu le projet… Cela risque d’être chaud pendant un mois !" poursuit Charles-Henry Chenut. Michel Platini, le président de l’Union européenne des associations de football (UEFA), a quant à lui demandé aux Brésiliens de mettre en sourdine leurs revendications le temps du Mondial. Pas sûr qu’il soit entendu.

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