Italie : le phénomène Renzi

Au mois de février, le nouveau président du Conseil italien, Matteo Renzi, avait juré de multiplier les réformes de structure afin de réveiller son pays assoupi. Et il est en train de tenir parole. Qui en Europe peut en dire autant ?

Matteo Renzi dans Porta a porta, un célèbre show télévisé, le 25 mai à Rome. © Mimmo Chianura/AGF/SIPA

Matteo Renzi dans Porta a porta, un célèbre show télévisé, le 25 mai à Rome. © Mimmo Chianura/AGF/SIPA

Publié le 13 juin 2014 Lecture : 6 minutes.

Il regrette de ne plus pouvoir se déplacer à vélo ou flâner dans les librairies, mais peu importe : Matteo Renzi a franchi avec succès le cap des cent jours à la tête de l’exécutif italien. L’ancien maire de Florence s’était engagé à entreprendre une réforme majeure par mois et il est en avance sur ses prévisions. Depuis son investiture, au mois de février, sept ont été mises sur les rails. Résultat : il a conquis la confiance des Italiens, las de la sclérose institutionnelle, politique et économique qui paralysait le pays depuis des années.

"J’ai toujours voté à droite, mais Renzi a bouleversé mes convictions. L’idéologie ne compte plus quand il y a la volonté de faire des choses", se réjouit Ciro Ligios, un cheminot à la retraite tout acquis à la cause du Parti démocrate (PD) depuis que sa pension a été augmentée. La dynamique enclenchée porte déjà ses fruits électoraux. Lors des européennes du 25 mai, le parti au pouvoir a remporté une très confortable victoire : 41 % des suffrages. Même s’il s’en défend, ce succès est avant tout à porter au crédit de Matteo Renzi.

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Modernisation et simplification de l’État

Pour le président du Conseil, "tout se joue d’abord en Italie". Son premier chantier ? La modernisation et la simplification de l’État. De concert avec Silvio Berlusconi, il a réussi une manière d’exploit : réviser la loi électorale. Sur cet écueil, tous les partis au pouvoir s’étaient échoués depuis quinze ans ! Baptisée "Italicum", la nouvelle loi instaure un mode de scrutin, la proportionnelle à deux tours, qui favorise les grands partis et fait de la Chambre des députés le centre du pouvoir. C’est la fin du bicaméralisme. Le Sénat devient une simple chambre des régions. Quant aux cent dix provinces que comptait l’Italie, avec leur gestion lourde et onéreuse, elles sont purement et simplement supprimées.

Ce sont cependant les mesures en faveur de "la compétitivité et de la justice sociale" qui ont le plus contribué à dissiper le marasme ambiant. Elles vont se traduire par un allégement de la pression fiscale par le biais de l’octroi d’un bonus aux salariés gagnant moins de 25 000 euros par an. Soit 80 euros par mois et 1 000 euros par an et par famille. Mais aussi par une diminution de 10 % de l’imposta regionale sulle attività produttive (Irap), la taxe sur les activités des entreprises, qui sera compensée par une augmentation de 6 % de l’impôt sur les rentes financières. Parallèlement, l’État s’est engagé à solder les 68 milliards d’euros de dettes qu’il a contractées auprès des petites et moyennes entreprises privées, ce qui apportera une grosse bouffée d’oxygène à ces dernières, qui bénéficieront en outre d’une baisse du coût de l’énergie.

Les jeunes sont désormais assurés d’obtenir un contrat à durée indéterminée après trois années d’apprentissage.

À ces incitations s’ajoute l’adoption d’un nouveau code du travail censé remédier à la précarité de l’emploi des jeunes. Ces derniers sont désormais assurés d’obtenir un contrat à durée indéterminée après trois années d’apprentissage. Enfin, une campagne va être lancée en faveur d’une meilleure représentation des femmes dans les sphères de décision du secteur public.

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"Matteo le magnifique", comme l’appellent ses inconditionnels, met son Jobs Act, sa loi sur l’emploi, au coeur des réformes économiques. Mais il lui adjoint une série de mesures sociales, comme l’octroi de 1,7 milliard d’euros pour le logement social et de 3,5 milliards pour la rénovation des écoles. Pour tenter de sortir l’administration de sa léthargie et identifier de possibles simplifications de son fonctionnement, il a entrepris une vaste consultation des administrés via internet – une première en Italie.

Pour financer ces mesures, le gouvernement met en vente la participation de l’État (40 %) dans les Postes italiennes et dans l’aviation civile. Et il s’emploie à réduire le train de vie fort dispendieux de celui-ci : baisse de la rémunération des patrons d’entreprises publiques, mise en vente de quelque 1 500 voitures de fonction attribuées aux fonctionnaires… "Il brade les biens de l’État !" s’indignent ses détracteurs, dont certains ne voient pas d’un très bon oeil la création d’une autorité anti-corruption.

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À l’époque (décembre 2013) où Renzi s’était emparé à la hussarde de la direction du PD, ils l’avaient surnommé Il Rottamatore – "le démolisseur". Ils n’ont pas dû changer d’avis depuis, même si certains lui reprochent aujourd’hui de… ne pas en faire assez. "Aucun projet de loi, aucun décret n’a été adopté, sauf concernant certains aspects secondaires ou marginaux des réformes", regrettent-ils. D’autres critiquent le flou de ses annonces et de ses montages financiers. Ils ne voient dans son programme qu’un "livre des songes". Le président du Conseil tente de leur répondre en invoquant les inévitables lenteurs administratives.

"L’Italie change en profondeur"

Pour faire approuver ses réformes, Renzi n’a pas hésité à poser à onze reprises la question de confiance au Parlement. Et la réforme de la justice qui sera présentée au cours de l’été dans cette même enceinte ne s’annonce pas sous de meilleurs auspices. Mais n’est-ce pas au fond assez normal ? En tout cas, le chef du gouvernement ne cache pas sa satisfaction. "L’Italie change en profondeur, estime-t-il. Paradoxalement, la stabilité autorise le changement ; et le changement a besoin de stabilité."

Pour lui, la campagne des élections européennes a été une aubaine. Elle lui a permis de différer l’adoption définitive de l’Italicum et de profiter de l’affaiblissement du Mouvement cinq étoiles, de l’humoriste populiste Beppe Grillo, qui y est très opposé. Pourtant favori des sondages, ce dernier s’est vu infliger par les électeurs une sacrée claque. Ce qui accroît sensiblement la marge de manoeuvre de Renzi au niveau national, mais aussi européen – l’Italie prendra le 1er juillet, pour six mois, la présidence tournante de l’UE.

Le président du Conseil, qui a été l’un des rares responsables européens à endiguer dans son pays la vague eurosceptique, a l’ambition de faire adopter par l’UE une série de mécanismes d’encouragement destinés aux pays résolus à s’engager dans la voie des réformes structurelles. À en croire Sandro Gozi, sous-secrétaire chargé des Affaires européennes, il s’agit de relancer les "partenariats pour les réformes, la croissance et la concurrence", et de faire bénéficier les pays concernés d’une plus grande flexibilité s’agissant des objectifs de réduction de la dette et des déficits.

L’Italie n’est plus "la dernière roue du carrosse"

Reste que Matteo Renzi ne pourra user avec l’UE de méthodes du Rottamatore. Il ne souhaite d’ailleurs pas bouleverser l’approche des institutions. "Je veux, dit-il, une Europe avec une âme, pas seulement avec des règles." Le 2 juillet, il rendra publics les objectifs de la présidence italienne. On sait déjà que les principaux sont l’énergie, la mise en commun des infrastructures et l’immigration. Mais la procédure de désignation du futur président de la Commission l’agace.

"Avant de nous mettre d’accord sur un nom, plaide-t-il, mettons-nous d’accord sur un programme et un agenda. Personnellement, je ne m’intéresse pas à la répartition des postes, mais à la stratégie de l’Union pour les prochaines années. Tant que l’Europe ne se sera pas dotée d’une méthode pour combattre le chômage, toute discussion sur les postes sera inutile et inefficace." Pour lui, le scrutin du 25 mai fut l’occasion d’un choix clair : "Soit le courage et l’avenir, soit les insultes et le passé. Plus question de retours en arrière, de lenteurs, d’hésitations et de peurs. Les gens ont voté pour le changement et c’est notre responsabilité d’entendre cet appel."

Quoi qu’il en soit, avec l’arrivée en masse à Bruxelles d’europhobes et d’eurosceptiques populistes et souvent xénophobes, la présidence italienne ne s’annonce pas comme une partie de plaisir. Mais Renzi se satisfait que son pays "ne soit plus la dernière roue du carrosse". On se console comme on peut.

Ceux qu’il dérange

La jeunesse du chef du gouvernement (39 ans) et la rapidité avec laquelle il prend ses décisions sont indiscutablement des atouts. Seront-ils suffisants lorsqu’il s’agira de mobiliser des ressources gigantesques afin de relancer l’investissement ? "Engagée sous des auspices plutôt populistes, on ne peut dire que son action soit jusqu’ici très convaincante", estime un membre de la CGIL, le principal syndicat du pays, convaincu que toutes les centrales ouvrières feront bloc contre les futures réformes structurelles dans le domaine de l’emploi. Mais la principale opposition à Matteo Renzi risque bien de venir d’une classe politique que ses méthodes dérangent et qui se sent dépossédée de ses prérogatives et de son statut.

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