Sissi et l’Égypte : maréchal, nous voilà !
Malgré sa victoire écrasante à la présidentielle, Sissi n’aura rassemblé sur son nom qu’une moitié du corps électoral. Lequel, bien qu’hétérogène, continue de voir en lui son « sauveur ».
Bardés de drapeaux rouge, blanc, noir, brandissant croix et corans sous une pluie de feux d’artifice, des milliers d’hommes et de femmes ont à nouveau envahi la place Al-Tahrir, le 3 juin au soir. Un spectacle familier depuis la révolution du 25 janvier 2011, à ceci près que la foule ne réclamait plus la destitution d’un raïs mais acclamait son nouveau "sauveur", Abdel Fattah al-Sissi, dont l’écrasante victoire à la présidentielle des 26 et 27 mai face à son unique challenger, Hamdine Sabahi, venait d’être annoncée officiellement.
Totalisant 96,9 % des voix, contre 3,05 % à son adversaire, l’ex-maréchal peut se targuer d’un soutien bien plus massif que son prédécesseur, Mohamed Morsi, Frère musulman élu avec 51,73 % des voix en juin 2012, avant d’être destitué en juillet 2013 par Sissi lui-même, alors ministre de la Défense. Mais cette victoire sans périls et le petit triomphe qui l’a accueillie ne font que souligner la faible mobilisation d’un peuple que l’on disait pris de "sissimania", enthousiasmé par les promesses de retour à l’ordre et de reprise économique.
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Adulé en juillet 2013 pour avoir mis un terme au pouvoir des Frères musulmans, encensé dans les médias nationaux, débarrassé de ses plus dangereux opposants et sans concurrent de poids, Sissi avait espéré rallier 45 millions de ses concitoyens. Mais il n’a recueilli que 23 780 104 voix pour une participation de 45,47 %, inférieure de six points à celle de la présidentielle de 2012, qui avait vu la victoire de l’islamiste Morsi. Jours de vote décrétés fériés, rumeurs prises très au sérieux d’une amende de 50 euros pour les abstentionnistes, prolongation du scrutin d’une journée, les manoeuvres de dernière minute de la commission électorale pour traîner les Égyptiens dans les isoloirs ne sont parvenues qu’à écorner la légitimité du scrutin et la victoire du nouveau président, de l’aveu même d’une presse nationale pourtant très favorable à Sissi.
Et le vaincu, Hamdine Sabahi, tout en reconnaissant sa défaite, n’a pas hésité à contester le chiffre de la participation, l’estimant pour sa part à 35 %. "Il n’y a pas moyen de savoir si les chiffres annoncés sont exacts, mais la question ne se pose même plus dès lors que la commission électorale s’est révélée partisane en changeant ses propres règles pendant le déroulement de la partie", estime Stéphane Lacroix, chercheur associé au Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales (Cedej) du Caire.
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Il faudrait vingt-cinq ans pour instaurer la démocratie
Si personne n’a jamais douté de la victoire de Sissi, les observateurs faisaient de la participation au scrutin le rare enjeu de cette élection. Chassés du pouvoir, puis interdits et réprimés, les Frères musulmans avaient appelé au boycott, et les circonscriptions où ils avaient réalisé leurs meilleurs scores en 2012 ont été ceux où l’abstention a été le plus forte. Sceptique et dépossédée de sa révolution par le nouvel homme fort du pays, qui, après avoir interdit toute manifestation, a laissé se faire emprisonner des dizaines d’activistes et affirmé pendant sa campagne qu’il faudrait vingt-cinq ans pour instaurer la démocratie, la jeunesse égyptienne a également boudé les urnes. Un désamour que Sissi a semblé vouloir désamorcer le soir de sa victoire, évoquant dans son discours télévisé un avenir plein de "pain, de liberté, de justice sociale et de dignité", la devise même des révoltés de 2011.
Dévoilé à la dernière minute, le programme économique de Sissi a peu convaincu. Projets d’infrastructures pharaoniques, refonte plus équitable des systèmes de subvention, réduction de la dette publique… Autant de mesures préconisées par le pouvoir depuis plus de trente ans. Selon Lacroix, "il n’a donné que tardivement des éléments généraux de son programme en raison de la grande hétérogénéité de ses soutiens, qui, auparavant unis par le seul rejet des Frères musulmans, ont déjà commencé à se battre". Dépendante d’un attelage allant des salafistes d’Al-Nour aux nationalistes libéraux du Nouveau Wafd en passant par les gauchistes et les grandes familles d’affaires, la présidence de Sissi pourrait prendre des allures de quadrature du cercle.
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