Constitution algérienne : silence, on se concerte…
En Algérie, les consultations en vue de l’adoption de la nouvelle loi fondamentale ont débuté le 1er juin. Un processus auquel ont été associés quelque 150 partenaires.
Réélu dans un fauteuil… roulant, le 17 avril, Abdelaziz Bouteflika entame son quatrième mandat tambour battant en lançant trois immenses chantiers : l’élaboration du plan quinquennal d’investissements publics 2015-2019 (on évoque une enveloppe financière d’environ 200 milliards de dollars, soit 147 milliards d’euros) ; la mise en place d’un nouveau découpage territorial avec, à la clé, la création d’une quinzaine de nouvelles wilayas (préfectures), une mesure annoncée depuis des lustres et sans cesse reportée ; et, enfin, le lancement d’un dialogue national en vue de l’adoption d’une Constitution consensuelle, profondément remaniée.
Chargé de piloter ce dernier chantier, l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia, aujourd’hui directeur de cabinet du président de la République, a choisi 150 partenaires : 64 partis politiques, 36 personnalités nationales, 38 organisations de la société civile et 12 éminentes personnalités universitaires.
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Un avant-projet de Constitution
Envoyées le 15 mai, les lettres d’invitation étaient accompagnées d’un avant-projet de Constitution devant servir de base aux discussions, lesquelles ont débuté le 1er juin. Cette mouture est le produit de consultations lancées en mai 2011 et qui ont fait l’objet d’un rapport consignant l’ensemble des propositions émanant des partis politiques. Transmis au président Bouteflika, ce rapport a été rédigé par une commission de juristes constitutionnalistes dirigée par le professeur Azzouz Kerdoun, qui en a élaboré l’avant-projet. La présidence de la République a insisté sur la transparence du processus de concertation : "Il n’y a aucune limite préalable au projet de révision constitutionnelle, affirme Ahmed Ouyahia, hormis celles relatives aux constantes nationales, ainsi qu’aux valeurs et principes fondateurs de la société algérienne, immuables et non révisables."
Malgré ces assurances, une partie de l’opposition et des personnalités conviées ont décliné l’invitation. Composée de partis et de personnalités qui ont boycotté la présidentielle du 17 avril, la Coordination pour les libertés et la transition démocratique (CLTD) a annoncé son refus de prendre part à ce processus, qu’elle qualifie de biaisé. Elle a organisé, le 10 juin, sa propre conférence nationale. Hétéroclite – elle regroupe les laïcs du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, de Mohcine Bellabas), les salafistes du Front pour la justice et le développement (FJD, d’Abdallah Djaballah) et le Mouvement de la société pour la paix (MSP, d’Abderrezak Mokri, maison mère des Frères musulmans algériens) -, la CLTD récuse la procédure adoptée par le pouvoir pour la révision constitutionnelle.
Deux des six candidats à la présidentielle, Ali Benflis, ancien Premier ministre, et Ali Fawzi Rebaïne, président du parti nationaliste Ahd 54, boycottent la concertation et entendent prendre part à la conférence de la CLTD. D’autres personnalités ont décliné l’offre de dialogue. Il s’agit des anciens Premiers ministres Sid Ahmed Ghozali et Ahmed Benbitour, de l’ancien ministre de la Défense le général Khaled Nezzar, ou encore d’Abdelkader Boukhamkham.
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Processus de concertation achevé au bout de vingt et un jours
Cette cascade de refus a-t-elle transformé la concertation en monologue ? "Pas le moins du monde, souligne-t-on dans l’entourage du directeur de cabinet d’El-Mouradia. Sur les 64 partis invités, plus de 50 parmi les plus représentés dans les assemblées élues, à l’échelle nationale ou locale, participent à la concertation. L’ensemble des organisations de la société civile et des éminentes personnalités du monde universitaire ont manifesté leur accord pour contribuer à ce processus. Quant aux personnalités nationales ayant décidé de ne pas y prendre part, elles sont au nombre de 6 sur les 36 conviées. Cette absence est déplorable mais n’entame en aucune manière la crédibilité de ce dialogue."
S’agissant de la forme de la concertation, elle se déroule dans les bureaux d’El-Mouradia au rythme de cinq rounds par jour, avec deux partis et trois personnalités. Pour les formations politiques, il s’agit d’une séance de travail au cours de laquelle Ahmed Ouyahia, entouré de deux collaborateurs, fait face à l’invité (le chef dudit parti) et à un panel de son encadrement. Les personnalités nationales, elles, sont reçues en tête à tête dans un salon d’El-Mouradia. À l’issue de l’audience, les premiers et les secondes font une déclaration à la presse pour rendre compte de leurs propositions.
Quant aux services d’Ahmed Ouyahia, ils se contentent d’un communiqué hebdomadaire résumant les activités de la semaine. Le processus de concertation devrait être achevé au bout de vingt et un jours. La compilation des propositions fera l’objet d’un rapport discuté lors d’un prochain Conseil des ministres, lequel adoptera le projet avant de le transmettre aux deux chambres du Parlement (Assemblée populaire nationale, APN, et Conseil de la nation, Sénat). Et ce avant le 28 juin, date marquant le début du mois de ramadan.
La compilation des propositions fera l’objet d’un rapport discuté lors d’un prochain Conseil des ministres, lequel adoptera le projet avant de le transmettre aux deux chambres du Parlement avant le 28 juin.
Reçu le 3 juin par Ahmed Ouyahia, Belaïd Abdelaziz, arrivé troisième à la présidentielle du 17 avril derrière Bouteflika et Ali Benflis, estime que le projet final devrait être soumis à un référendum populaire, contrairement à la révision de la Constitution de novembre 2008. Quant au fond de la concertation, il porte essentiellement sur la nature du régime. Défendu principalement par les forces islamistes, qui, pour la plupart, boycottent la concertation, le régime parlementaire a peu de chances d’être retenu.
Outre les sempiternelles questions de séparation des pouvoirs, d’indépendance de la justice, du rôle et du statut de l’armée dans l’édifice institutionnel, des sujets essentiels relatifs au projet de société sont sur la table : faut-il abolir la peine de mort (moratoire depuis 1993, mais les juges continuent de la prononcer) ? Comment réussir l’équité fiscale entre riches et pauvres ? Comment asseoir l’égalité hommes-femmes dans une société fortement marquée par un conservatisme d’un autre âge ? Comment lutter contre le phénomène de la transhumance politique, qui ruine la crédibilité des instances élues ? Comment conforter la pratique démocratique en constitutionnalisant les libertés publiques et les droits de l’homme ? Des réponses à toutes ces interrogations naîtra l’Algérie de demain.
Le fantôme du FIS
Dissous par la justice en mars 1992 pour avoir appelé le peuple à prendre les armes contre la République, le Front islamique du salut (FIS) sortait peu à peu de la mémoire collective. À l’occasion de la campagne pour la présidentielle d’avril 2014, il a réussi à refaire surface avec une bruyante intrusion dans la vie politique. D’abord en phagocytant le "Front du refus", regroupant les partis ayant décidé de boycotter le scrutin, puis en s’improvisant partie incontournable dans le processus de concertations autour du projet de la nouvelle Constitution. En cette dernière occurrence, l’opposition n’y est pour rien.
L’opportunité lui a été offerte par le pouvoir. Comment ? Parmi les personnalités conviées par Ahmed Ouyahia, on relève la présence de deux membres fondateurs du FIS, Hachemi Sahnouni et Abdelkader Boukhamkham, ainsi que Madani Mezrag, ex-chef de l’Armée islamique du salut (AIS, branche militaire du FIS). De ces trois personnalités, seul Boukhamkham a décliné l’invitation avec cet imparable argument : "Comment m’associer à ce processus alors que je suis, à l’instar des autres dirigeants du Front, interdit d’activité politique ?"
Du côté de la présidence, on ne s’émeut pas outre mesure de cette absence, mais cet échange a remis sur le devant de la scène des visages et des noms de sinistre mémoire. Les plateaux des chaînes TV privées sont désormais ouverts à des personnes incarnant les années sombres du terrorisme, à l’instar de Kamel Guemazi, ex-maire FIS d’Alger, Madani Mezrag et d’autres fantômes d’un passé récent, rappelant les heures de gloire d’un islamisme aussi triomphant que sanguinaire.
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