Et au Cameroun, comment ça va ? Entretien croisé avec Grégoire Owona et Maurice Kamto
Grégoire Owona et Maurice Kamto ne sont d’accord sur rien. Pour le premier, le gouvernement auquel il appartient fait beaucoup, tandis que le second estime que la nation est en péril.
Pendant sept ans, ils ont été collègues au gouvernement avant que Maurice Kamto démissionne, en novembre 2011, pour rejoindre l’opposition au sein de laquelle cet essayiste agrégé en droit anime le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC). Quant à Grégoire Owona, ministre du Travail et secrétaire général adjoint du comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), il fait partie des gardiens du temple. Les deux hommes vivent dans le même pays, mais quand l’un affirme qu’il y a "péril en la demeure", l’autre assure que "tout va bien". De quel côté se trouve la vérité ?
JEUNE AFRIQUE : L’année dernière, le Cameroun s’est enfin doté d’un Sénat, une institution dont la création était attendue depuis 1996. Est-ce, selon vous, un progrès ?
Grégoire Owona : Oui, d’autant que les deux chambres du Parlement respectent la sociologie du pays, avec une forte représentation des femmes, qui constituent 56 % des députés et 30 % des sénateurs. Par ailleurs, le processus électoral en lui-même a connu des innovations : Elections Cameroon [Elecam, l’organe chargé de l’organisation des élections] a notamment adopté la biométrie pour plus de transparence.
Maurice Kamto : J’affirme qu’il y a eu collusion entre Elecam, l’administration et le pouvoir, que le découpage électoral est scandaleux et que, sans cela, et s’il n’y avait pas eu de fraudes, mon parti, le MRC, serait aujourd’hui bien mieux représenté au Parlement. La preuve : on a eu beau remporter 100 000 voix à Yaoundé sur les 400 000 suffrages exprimés, nous n’avons aucun siège de député ! La composition de l’actuelle Assemblée nationale ne reflète pas la volonté des électeurs.
Comment peut-on améliorer le processus électoral ? Quelle réforme faut-il envisager ?
G.O. : J’insiste sur le fait que la réforme principale a déjà été faite avec l’introduction de la biométrie. Maintenant, il est impératif d’actualiser les différentes listes électorales dans chacune des régions du Cameroun et d’intensifier les campagnes de sensibilisation et d’information.
M.K. : Il faut qu’Elecam soit un organe indépendant et non dévoué aux intérêts partisans. Le découpage électoral doit également être reconsidéré. Le Conseil constitutionnel doit être mis en place, avec des personnalités réputées pour leur compétence, leur probité et leur indépendance. Il est impératif de respecter le code électoral, qui interdit le vote dans les casernes : au cours du dernier scrutin, près de 18 000 électeurs ont voté dans les casernes de Yaoundé, souvent sous le regard de la sécurité militaire. Compte tenu de notre démographie, l’âge électoral doit en outre être ramené à 18 ans, au lieu de 20 ans actuellement. S’agissant plus particulièrement du scrutin présidentiel, il doit être à deux tours. Enfin, concernant les sénatoriales, il est anachronique que le président de la République désigne trente sénateurs sur un total de cent ! Nous ne sommes pas en monarchie ! Il faut que cela change. Et, bien sûr, l’achat des votes doit être pénalement réprimé.
>> À lire aussi Cameroun : les leçons des élections législatives et municipales
Grégoire Owona est ministre du Travail et membre du RDPC,
le parti au pouvoir. © DR
Aurait-on dû changer de gouvernement après les dernières élections ?
G.O. : Les remaniements ministériels relèvent de la volonté du chef de l’État. Je ne commenterai pas leur opportunité.
M.K. : La situation économique et sociale du pays exige un renouvellement partiel ou total de l’équipe gouvernementale pour donner un second souffle au septennat en cours. Le président a lui-même dressé un tableau peu reluisant de la situation du Cameroun et annoncé un plan d’urgence dont on était en droit de penser qu’il serait élaboré, ou du moins mis en oeuvre, par un gouvernement rénové. En s’abstenant de le faire, le président a accentué la monarchisation du régime.
En avril, Louis Bapès Bapès, le ministre des Enseignements secondaires, a été arrêté puis libéré dès le lendemain. Comment l’expliquez-vous ?
G.O. : Cette affaire relève de la justice et je ne souhaite pas la commenter.
M.K. : Je trouve, moi, qu’elle met au jour de sérieux dysfonctionnements. Un ministre, il faut le démettre avant de l’arrêter ! On aurait pu éviter ce spectacle consternant qui discrédite à la fois l’exécutif et la justice. Cette affaire pourrait en outre donner raison à ceux qui affirment que la justice camerounaise est une justice aux ordres.
Savez-vous ce que les Camerounais attendent de vous, les hommes politiques ?
G.O. : Ils attendent qu’on leur construise un Cameroun fort, prospère, plus démocratique. Ils veulent que l’on continue de cultiver le vivre-ensemble pour la préservation de l’unité nationale. Ils veulent aussi une amélioration de leurs conditions de vie.
M.K. : C’est la question de l’amélioration des conditions de vie qui prime : il faut de l’eau, de l’électricité, des emplois… Il faut relever le salaire minimum garanti, qui, avec 28 216 F CFA [43 euros] par mois, est l’un des plus bas en Afrique et probablement au monde. Or le pouvoir dispose d’une majorité parlementaire écrasante qui lui permet de faire voter toutes les lois nécessaires.
Maurice Kamto a rejoint l’opposition en 2011 et fondé le MRC.
© Pius Utomi Ekpei / AFP
Au regard des querelles qui ont récemment opposé des intellectuels sur les réseaux sociaux, le tribalisme est-il un danger pour la paix au Cameroun ?
G.O. : Ces querelles ne sont que des manoeuvres de déstabilisation de notre pays par des groupes tapis dans l’ombre. Dire que ces querelles sont une menace, c’est donner raison à ceux qui veulent voir notre pays sombrer.
M.K. : Bien sûr, le fait tribal ou ethnique est, au Cameroun comme ailleurs, une réalité sociohistorique qu’il n’est pas question d’éluder, même s’il y a toujours eu dans notre pays une volonté de vivre ensemble. Mais la véritable menace, ce sont ces clans qui s’organisent au sommet de l’État pour tenter d’enlever au peuple son droit de choisir librement ses dirigeants et qui instrumentalisent l’appartenance ethnique.
Pour conclure, les performances économiques du Cameroun vous satisfont-elles ?
G.O. : On constate une nette amélioration et les choses vont continuer de bouger. Dans le ministère dont j’ai la charge, nous travaillons au renforcement et à l’élargissement du système de sécurité sociale. Deux projets de décret sont en cours, portant respectivement sur la création de l’assurance volontaire et sur le relèvement du plafond de l’assiette de cotisation sociale. Par ailleurs, la lutte contre le VIH dans le monde du travail s’intensifie grâce à l’initiative VCT@Work. Les travailleurs peuvent se faire dépister gratuitement, et les résultats sont confidentiels. Si le résultat est positif, l’employeur doit assurer une prise en charge immédiate. C’est un gage pour améliorer la productivité de notre économie.
M.K. : La situation économique de notre pays est franchement préoccupante. Le chef de l’État avait annoncé un pays transformé en immense chantier à partir de janvier 2012, mais la réalité est que les chantiers restent confinés à un projet portuaire [Kribi] et à trois projets hydroélectriques dits structurants. La croissance de l’économie [4,9 % en 2013] reste en dessous de la moyenne continentale et très insuffisante pour impulser un développement significatif du pays quand on la rapporte au taux de croissance démographique et au taux d’inflation.
>> À lire aussi notre dossier : la fin de l’immobilisme au Cameroun ?
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Propos recueillis par Georges Dougueli
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