« Misogynoir » : dans le collimateur des afro-féministes

Sur internet, les afro-féministes sont nombreuses à traquer les attaques « misogynoiristes », néologisme inventé pour qualifier les insultes spécifiques à l’égard des femmes noires, afin de sensibiliser ces dernières et de leur faire prendre conscience qu’elles peuvent et même doivent dire « Non » face à de tels comportements.

Des manifestants bloquent une entrée du Lenox Square Mall lors d’une manifestation Black Lives Matter à Atlanta, en septembre 2016. © AP/SIPA/Branden Camp

Des manifestants bloquent une entrée du Lenox Square Mall lors d’une manifestation Black Lives Matter à Atlanta, en septembre 2016. © AP/SIPA/Branden Camp

Publié le 7 mars 2018 Lecture : 5 minutes.

Vidéos, blogs, tweets, festivals, conférences, marches, fanfares… Sur le net comme sur le terrain, les afro-féministes s’emparent de tous les moyens existants pour dénoncer et sensibiliser les femmes noires à la « misogynoir ».

Ce terme, introduit en 2010, doit son nom à deux femmes : Trudy, auteure du blog The Gradient Lair, et l’universitaire canadienne Moya Bailey, qui l’utilise dans son essai They aren’t talking about me. Comme le résume la blogueuse Mrs Roots, il se définit comme une misogynie spécifique à l’égard des femmes noires, dénigrées par des attaques sexistes, racistes et/ou coloristes (la hiérarchisation selon les teintes plus ou moins foncées des carnations noires).

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Sur internet, les afro-féministes françaises sont nombreuses à traquer les attaques misogynoiristes. Une des dernières affaires en date : une information relayée sur Twitter en novembre dernier par la blogueuse afro-féministe Kiyémis. Celle-ci était axée sur l’acquittement d’un Cap-Verdien de 30 ans, poursuivi pour le viol d’une jeune fille de 11 ans d’origine congolaise et qui aurait évoqué, pour sa défense, « la chaleur africaine ».

« L’homme a mobilisé un imaginaire raciste, sexiste, déshumanisant les femmes noires et [étant] toujours performant dans la société française. Construit pour justifier l’esclavage et la colonisation, le cliché des femmes africaines à moitié nues, exposant leurs seins à la vue de tous, révélant des mœurs légères, des pratiques sexuelles immorales ou encore une sexualité débordante », souligne ainsi la blogueuse Many dans un billet consacré à cette affaire.

L’enfer des clichés

Ces phrases, les afro-féministes les recensent dans les films, les clips de musique, les publicités ou encore sur les réseaux sociaux. Depuis quelques années, elles ne sont plus les seules à les lister, certains universitaires s’étant ainsi emparé du sujet. Dans son étude portant sur un corpus de textes et d’images de « la femme noire », prélevés dans quatre mensuels masculins français (New Look, Vogue Hommes, Photo et L’Echo des Savanes), le chercheur Yann Le Bihan montre que la presse mobilise toujours ces stéréotypes.

Elles expriment un vieux stéréotype qui est que « la femme noire » est plus proche de la nature, plus animale

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« Ces magazines transmettent des clichés par écrit en évoquant « la cambrure », « la croupe », « les seins comme des obus » des femmes noires. Plus leur peau est foncée, plus les stéréotypes sont présents à l’écrit mais aussi en photo. On les représente plus dénudées car elles expriment un vieux stéréotype qui est que « la femme noire » est plus proche de la nature, plus animale », précise le chercheur.

Pour ce docteur en psychologie sociale, nous sommes passés d’un racisme primaire, qui s’exprime sous un mode flagrant, à une expression beaucoup plus subtile d’un racisme qui ne veut pas l’être mais qui s’exprime quand même au travers de clichés et des discriminations essentialistes. D’où la nécessité de « les identifier », note ce spécialiste, puisque « cela constitue la première étape qui est celle de l’explication et de la prise de conscience ».

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C’est ce travail que le collectif Afro-Fem poursuit depuis sa création en 2012. « Nous voulons que les femmes se rendent compte que cette vision renvoie à une image péjorative des femmes noires. Nous les informons pour les sensibiliser sur ce qui se passe dans notre société. Nous voulons leur faire comprendre qu’elles ne sont pas obligées d’accepter cela. Elles ont le droit de dire « non » », souligne Audy, membre du collectif Afro-Fem.

Micro-agressions au quotidien

De son propre aveu, la blogueuse et youtubeuse afro-féministe Elawan utilisait auparavant le terme « Niafou », sans se rendre compte qu’il avait une connotation péjorative. C’est en découvrant le terme de misogynoir qu’elle s’est aperçue qu’elle véhiculait sans le savoir des représentations erronées de la femme noire.

Niafou, Fatou, Beyoncé Coulibaly… Autant de surnoms utilisés pour catégoriser des femmes noires jugées extravagantes, mal éduquées, vulgaires et gardant leur tissage pendant des mois.

On doit encaisser des phrases comme « t’es belle pour une noire », « tu as une beauté exotique », « les noires sont toutes des filles faciles »

« On arrive à des situations où les parents ne veulent plus donner le prénom Fatou à leur enfant par peur qu’on l’insulte », souligne Audy, qui déplore l’existence de ces micro-agressions au quotidien. « En plus de ces surnoms, on doit encaisser des phrases comme « t’es belle pour une noire », « tu as une beauté exotique », « les noires sont toutes des filles faciles », ou encore des demandes incongrues comme « je peux toucher tes cheveux ».

Des propos jugés misogynoiristes, notamment véhiculés au sein de la communauté noire en France. Selon Audy, « certains des hommes noirs qui dénoncent l’aliénation culturelle des Blancs prônent un retour aux traditions et aux valeurs africaines. Ils considèrent la femme comme une reine mère, mais perpétuent des rapports de domination issus de la culture machiste occidentale. Ce patriarcat est fortement ancré en Afrique, au sein de la diaspora, ainsi que dans d’autres régions du monde ».

Un non-sens pour Stéphane, 39 ans, panafricain convaincu , qui a préféré garder son anonymat et qui explique ne pas comprendre le combat des afro-féministes : « Je pense qu’aujourd’hui nous devons d’abord combattre le racisme envers les Noirs, au lieu de lutter les uns contre les autres. Les féministes prônent la confrontation entre les sexes alors qu’en Afrique et dans la communauté noire en France, les femmes sont toujours mises en avant. À aucun moment nous ne les rabaissons. »

Les militantes souvent marginalisées

Si depuis quelques années, les afro-féministes utilisent les réseaux sociaux, c’est bien pour créer des liens avec les différentes afrofem du monde et diffuser plus largement leur combat. « Ces militantes souhaitent occuper un espace public dans lequel elles sont inexistantes. En France, pour les femmes noires, il y a un très large manque de possibilité de se mettre en visibilité. Encore plus quand elles ont un propos militant », explique Emmanuelle Bruneel, chercheuse en science de l’information et la communication, qui spécifie que les actions individuelles ou collectives des femmes ont souvent été rejetées ou disqualifiées.

À l’époque, j’ai essayé d’intégrer SOS racisme mais le misogynoir n’était pas du tout pris en compte

« Lors de la « Journée des femmes noires » du 29 octobre 1977, les militantes se sont heurtées à de nombreuses résistances. Elles ont dû affronter une virulente critique de la part de leurs « camarades » des mouvements français et africains de gauche ». Cette marginalisation, Audy l’a également ressentie. « À l’époque, j’ai essayé d’intégrer SOS racisme mais le misogynoir n’était pas du tout pris en compte. Je pense que pour eux, comme beaucoup, la dimension raciale est plus importante. Ce qui explique leur fonctionnement. Ils oublient qu’en étant femme et noire, avec tout ce que cela implique dans nos communautés et dans la société française, nous n’avons pas le privilège de la hiérarchisation des oppressions », confie Audy, qui a depuis rejoint Mwasi puis le collectif Afro-Fem, qui ont su s’organiser et utiliser les médias pour faire avancer un combat qui reste encore trop souvent incompris dans la société française.

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