Centrafrique : la guerre est économique, selon les experts de l’ONU
Ce qui ressort du dernier rapport du Groupe d’experts de l’ONU sur la République centrafricaine, rendu public fin décembre, est l’installation pérenne d’une réelle économie de guerre.
Il est au final, information après information, parfois difficile de se faire une idée sur les dynamiques de la violence en Centrafrique. La grille de lecture confessionnelle, parfois utilisée, est souvent critiquée pour son manque de pertinence. De nombreux décideurs pointent du doigt un conflit obéissant à des logiques économiques. Le rapport du Groupe d’experts sur la République centrafricaine, en date du 6 décembre, et rendu public à la fin du mois tend à leur donner raison. Le rapport aborde différentes questions mais, de détails en résolutions, se dessine notamment un conflit, qui a généralement des motivations économiques. Celui-ci suscite autant la création de nouveaux marchés, que de modèles d’organisation économique.
Quête de monopole
L’échec de la réunification de l’ancienne Séléka, cause d’un certain nombre d’affrontements durant l’année 2017, serait à en croire le rapport, liés « aux intérêts économiques divergents des dirigeants du groupe. » Concernant les groupes d’autodéfense, dont les experts remarquent la vivacité, aux côtés des anti-balaka, ils remarquent qu’ils existent « au service d’intérêts économiques ».
Un artisan minier influent a soutenu les groupes d’autodéfense pour pouvoir s’emparer des entreprises de concurrents musulmans
Les experts donnent l’exemple d’un « artisan minier influent qui a soutenu les groupes d’autodéfense pour pouvoir s’emparer des entreprises de concurrents musulmans ». Les acteurs économiques non-musulmans « bénéficient notamment d’une situation de monopole sur les activités commerciales sur l’axe Bangassou-Gambo-Béma depuis que les groupes d’autodéfense en ont pris le contrôle ». Les dynamiques des groupes politico-militaires, les jeux confus d’alliance et de scission, se comprennent ainsi, à l’aune de la concurrence économique et de la quête de mainmise financière.
De nouveaux marchés
Si les affrontements découlent souvent de la concurrence économique, ils offrent aussi de nouveaux débouchés : « Les combats qui sévissent dans le sud-est du pays ont donné plus de poids aux filières de trafic d’armes et de munitions via la République démocratique du Congo ». Les violences à Bangassou, qui ont marqué cette année 2017, seraient ainsi liées au fait de la volonté des groupes armés de mettre la main sur une des « plaques tournantes du trafic où les groupes d’autodéfense locaux viennent se réapprovisionner en matériel militaire provenant de [l’étranger, ndlr] ».
L’un des principaux généraux de la Séléka en 2013 […] faisait entrer des armes du Soudan
Dans la région, d’ailleurs, « le marché des munitions et des armes de chasse reste lucratif, ce qui explique qu’elles soient toujours vendues au même titre que d’autres marchandises. » Les ex-Séléka, eux aussi, participent activement au trafic d’armes. Dans ses précédents rapports, le Groupe d’experts a souligné que Moussa Assimeh, « l’un des principaux généraux de la Séléka en 2013 […] faisait entrer des armes du Soudan […]. Les trafiquants transportent les armes de Bria depuis le Soudan ». C’est avec un ressortissant de ce pays aussi que le général Zakaria Damane, homme fort de l’ex-Séléka, aurait, en 2017, conclu « un accord portant sur la fourniture d’armes et de munitions d’une valeur de 12 millions de francs CFA (21 000 dollars) », offrent les experts en guise d’exemple. Ces derniers relèvent même que des cartouches militaires ont été achetées à des personnes liées au FPRC pour la formation de 26 candidats au poste de garde forestier.
Les routes et les mines
Dans le nord-ouest, les violences sont encore pour beaucoup liées à la lutte pour le contrôle des axes routiers. Contrôler les routes, c’est prélever des taxes, notamment sur le bétail. Les experts proposent une estimation : « un propriétaire de 50 têtes de bétail achetées à Mbaiboum (nord du Cameroun) voulant se rendre au marché de Bouar devra franchir plusieurs postes de contrôle et payer entre 800 000 et 1 million de francs CFA, soit 1 800 à 2 000 dollars ». Qui tombent aujourd’hui dans la poche des groupes armés. Certains voient même plus grand : le général Bahar, du Mouvement patriotique pour la Centrafrique, a installé un marché au bétail, indique le rapport, pris le contrôle d’un axe routier emmenant au Tchad et ainsi créé un corridor pour l’import d’animaux. Les autres groupes armés, comme les 3R ou l’UPC ne sont pas en reste.
Les experts remarquent aussi que l’activité extractive est aujourd’hui intimement liée à l’activité de groupes armés. Ainsi, des sites seraient entièrement gérés par des anti-balaka, comme c’est le cas de la mine d’or de Wili, à Koro-Mpoko. Ailleurs, les groupes armés assurent, à en croire le rapport, des services de sécurité. Certains montent de véritables entreprises. Le rapport évoque ainsi le cas d’Elite Sécurité RCA, qui assure la sécurité d’un site d’orpaillage à Sosso-Nakombo, et où on retrouve l’ancien commandant de zone Crépin Messamba, également connu sous le nom de « Général Dalé », ancien membre de la garde présidentielle de François Bozizé.
Le risque est un délitement toujours plus important de l’État centrafricain. Pour les factions de l’ex-Séléka, et le FPRC en particulier, la collecte de taxes constitue « l’un des principaux objectifs de la création de structures administratives parallèles », remarquent les experts au sujet de Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique. Aux alentours des mines, les fonctionnaires collaborent parfois avec les groupes qui assurent la sécurité privée et les experts regrettent la non-application du gel des avoirs de certains chefs de groupes armés par les autorités nationales.
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