Syrie : Bachar el-Assad, coriace raïs

L’inamovible président syrien Bachar el-Assad a été réélu. Un scrutin en forme de farce, certes. Mais qui confirme aussi que le régime, un temps vacillant, est parvenu à résister à trois années de conflit.

Le 3 juin, Bachar al-Assad et Asma, son épouse, votaient à Damas. © AP Photo/Sana

Le 3 juin, Bachar al-Assad et Asma, son épouse, votaient à Damas. © AP Photo/Sana

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 13 juin 2014 Lecture : 4 minutes.

"Assad doit diriger une transition politique ou partir", avait intimé le département d’État américain. C’était en mai 2011, deux mois après le déclenchement d’une révolte populaire qui, dans la foulée des printemps tunisien, égyptien, yéménite, bahreïni et libyen, réclamait la fin d’une dictature dynastique quadragénaire. Comme celles de Ben Ali, Moubarak, Kadhafi et Saleh, la chute du président syrien ne serait "qu’une question de temps", claironnait l’Occident.

Mais trois ans et 160 000 morts plus tard, solidement campé sur les ruines fumantes de son pays, ledit tyran vient d’être réélu pour un troisième mandat. Contre deux rivaux de pacotille, et par 88 % des voix. Dix millions d’électeurs lui ont donné leur onction alors que les territoires contrôlés par l’opposition restaient soumis à un déluge de feu. Sur le papier, Bachar al-Assad peut rester au pouvoir jusqu’en 2028, la Constitution adoptée en 2012 limitant à l’avenir le mandat présidentiel à deux septennats.

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La présidentielle du 3 juin, une "farce" pour l’Occident

Sur le terrain, les forces du raïs – armée régulière, milices ou mercenaires – collectionnent les victoires depuis juin 2013. Le 7 mai dernier, elles ont même reconquis Homs, la "capitale de la révolution". Dupée par les promesses non tenues de matamores occidentaux, vampirisée par des groupes armés majoritairement islamistes, la révolution pacifique et démocratique de 2011 est morte et enterrée. Incarnée par une Coalition nationale syrienne aussi incohérente qu’inefficace, l’opposition politique a perdu le peu de crédit qu’elle avait pu avoir. Alors que le suppliant "Donnez-nous des armes !" de son chef, Ahmed al-Jabra, se perd dans les couloirs feutrés des chancelleries occidentales, Assad sait qu’il pourra toujours compter sur le soutien de l’Iran et de la Russie. Terrorisme et jihad, ingérences étrangères et déstabilisation régionale… Les prophéties du maître de Damas se sont hélas révélées plus justes que le wishful thinking moralisateur de l’Occident.

Une "farce", une "mascarade", s’est-on outré à Paris et à Washington devant le spectacle de la présidentielle du 3 juin. Mais au-delà de ce simulacre de démocratie dans un pays en guerre, ce scrutin avait un sens. "C’est une manière de dire à l’Occident : "J’érige un rempart contre vous en organisant le pouvoir dans les formes que vous-mêmes prônez"", commente Ayman Abdel Nour, un ancien conseiller d’Assad passé dans l’opposition et contraint à l’exil depuis 2007.

Les agents des renseignements occidentaux reprennent le chemin de Damas afin de lutter contre le terrorisme jihadiste et, aussi, pour renouer quelques fils avec le régime paria.

Pour Camille Otrakji, un activiste pro-Assad vivant au Canada et fondateur du Syrian Dialogue Project, "il s’agit de faire comprendre à la communauté internationale qu’un changement de régime n’est pas au programme. Une position dictatoriale, mais en partie justifiée : la seule opposition qui ait du poids sur le terrain est dominée par des dizaines de groupes islamistes, qui ne pourront jamais s’entendre avec les partisans du régime, bien plus nombreux qu’on ne le dit dans la presse occidentale". Une manière également de signifier aux Syriens que l’État fonctionne normalement et que les pressions extérieures n’ont aucune influence sur le pouvoir. "Certes, c’est une distorsion de la réalité, concède Otrakji. Mais elle répond aux tentatives constantes de l’opposition de faire croire que le gouvernement est sur le point de s’effondrer."

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Opportunément, le plébiscite du 3 juin vient rappeler aux Syriens et au monde la capacité de résistance d’un régime confronté à de multiples projets de renversement depuis la prise de pouvoir, en 1971, de Hafez al-Assad, le défunt père de l’actuel président. Régulièrement ostracisée par l’Occident, la République arabe syrienne n’a jamais eu à se défaire des Assad pour être in fine réhabilitée. Reverra-t-on Bachar invité par la France au défilé du 14 Juillet, comme en 2008 ? On peut en douter. Mais après les imprécations moralisatrices, la realpolitik fait son retour et les agents des renseignements occidentaux reprennent le chemin de Damas afin de lutter contre le terrorisme jihadiste et, aussi, pour renouer quelques fils avec le régime paria, font savoir des responsables syriens.

À Alep, le 4 juin.
À Alep, le 4 juin. (Photo diffusée par l’opposition). © AP Photo/Aleppo Media Center, AMC

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Le peuple, épuisé par trois années de guerre

Derrière ce scrutin qualifié par John Kerry, le secrétaire d’État américain, de "non-élection" se dissimulerait un projet machiavélique, estime Ayman Abdel Nour. Selon le créateur du site d’information All4Syria, le régime cherche à corrompre des personnalités de l’opposition pour les amener à participer à un gouvernement d’union nationale. "Assad semblerait ainsi appliquer l’accord conclu à Genève en juin 2012 entre les grandes puissances. Mais, en Syrie, le gouvernement n’a aucun pouvoir et Assad, qui se sent victorieux sur le front et sait que le peuple est épuisé par trois années de guerre, est plus loin que jamais d’engager de vraies réformes", explique l’opposant.

Seule issue encore possible, une entente entre les grands ennemis régionaux : l’Iran, parrain du régime, et l’Arabie saoudite, soutien vital de l’opposition. Des rapprochements timides ont eu lieu entre ces deux pays ces dernières semaines, mais un accord sur les dossiers syrien, libanais, irakien, yéménite ou bahreïni sera long à élaborer. "Assad pour l’éternité", le vieux slogan du régime, reste le voeu fervent de ses partisans. Et le cauchemar sans fin de ses opposants.

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