Soudan : conforté à l’étranger, Omar el-Béchir serre la vis à l’intérieur

Alors qu’il s’emploie à plaire aux grandes puissances, le président soudanais se montre ferme sur le plan domestique. Conforté à l’international, Omar el-Béchir ne semble pas près à l’écoute et au compromis, alors que des manifestations ont éclaté après l’augmentation du prix du pain.

Omar el-Béchir, à son arrivée à l’aéroport de Khartoum en juin 2015, de retour d’Afrique du Sud. © Abd Raouf/AP/SIPA

Omar el-Béchir, à son arrivée à l’aéroport de Khartoum en juin 2015, de retour d’Afrique du Sud. © Abd Raouf/AP/SIPA

CRETOIS Jules

Publié le 9 janvier 2018 Lecture : 4 minutes.

Dans le même temps, le chef de l’État s’emploie à améliorer ses relations avec les grandes puissances. En novembre dernier, lors de son voyage à Moscou,  il aurait expressément proposé aux autorités russes d’installer une base militaire dans son pays. Une installation à terme d’une telle base dans le pays dont la façade Est donne sur la mer Rouge qui n’est pas à exclure, selon plusieurs spécialistes.

Et récemment, Omar el-Béchir ne s’est pas contenté de draguer Moscou. Dans la foulée de son voyage en Russie, il a rendu visite à son vieux rival tchadien, le président Idriss Déby Irno, réputé proche des chancelleries occidentales.

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Depuis deux ans, le président soudanais peut aussi compter sur le soutien de Riyad. Délaissant ses oripeaux anti-impérialiste, il a annoncé la participation de l’armée soudanaise à l’opération « Tempête décisive » au Yémen, lancée sur initiative saoudienne en 2015. Le Soudan a ensuite rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran, en 2016. Des promesses d’investissements ont alors été faites par Riyad.

Fin décembre 2017, ce fut au tour du président turc Recep Tayyip Erdogan de rendre visite à son homologue soudanais et de signer avec lui différents accords, notamment économiques et militaires.

Instrumentalisation de la question migratoire

Des policiers français passent devant des migrants érythréens, lors d'une opération à Calais en octobre 2017. © Emilio Morenatti/AP/SIPA

Des policiers français passent devant des migrants érythréens, lors d'une opération à Calais en octobre 2017. © Emilio Morenatti/AP/SIPA

Enfin, Omar el-Béchir se montre coopératif avec les Occidentaux en matière de lutte contre les migrations, notamment au travers du Processus de Khartoum enclenché en 2015. Le fait est d’ailleurs régulièrement dénoncé par des associations occidentales et africaines, qui s’alarment quant aux conséquences possibles pour les migrants.

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Dernier exemple en date de cette politique : le 6 janvier, le Soudan a justement annoncé la fermeture de la frontière avec l’Érythrée, dans le Kassala, où l’état d’exception avait été annoncé quelques jours plus tôt, pour des raisons sécuritaires selon l’agence de presse soudanaise Suna.

« En réalité, il s’agit bien d’un point de passage de personnes qui fuient l’Érythrée et remontent depuis le Soudan vers les côtes. C’est un geste fait en direction des Occidentaux, qui parlent d’immigration avec Khartoum », précise le politologue américain.

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Plus largement, « sur la question migratoire, on remarque une corrélation inquiétante entre des comportements brusques et des volontés de plaire aux partenaires européens », estime pour sa part Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la Corne de l’Afrique.

Front uni entre nationaliste, conservateurs et communistes

Lors des manifestations de 2013 à Kadro, près de Khartoum. © Abd Raouf/AP/SIPA

Lors des manifestations de 2013 à Kadro, près de Khartoum. © Abd Raouf/AP/SIPA

Omar el-Béchir, dans ce contexte, semble peu enclin à tendre l’oreille aux revendications des centaines de manifestants qui se sont rassemblés aux abords des campus universitaires à Khartoum, mais aussi dans d’autres villes du centre et proches du Nil, comme Geneina, un manifestant a été tué.
Nationalistes, conservateurs et communistes ont appelé à manifester jusqu’à la chute du régime. Un cadre du Parti communiste du Soudan assure à Jeune Afrique que « des militants ont disparu suite aux défilés ». Le journal du parti, qui a fait sa couverture sur les rassemblements, a été saisi, à l’instar de six autres quotidiens en arabe. À l’AFP, Hanadi Al-Sadiq, le rédacteur en chef de l’un d’eux, Akhbar Al-Watan, expliquait ne pas avoir eu d’explications.
Les manifestations ont éclaté suite à une augmentation du prix de la farine, fruit d’une décision récente de cesser les importations à la charge du gouvernement, et de les confier au secteur privé. Le parti national Umma a accusé le régime, via un communiqué, de « céder aux exigences du Fonds monétaire international (FMI) ».
Au Soudan, ce sera bientôt le libre-échange sans les libertés
Pour les opposants du Parti communiste et d’Umma, c’est une certitude : si les États-Unis ont annoncé en octobre 2017 la levée de la quasi-totalité des sanctions  qui pesaient sur le Soudan depuis 1997, c’est parce que le régime s’est montré « pragmatique » avec les puissances occidentales, malgré ses discours teintés d’anti-impérialisme.
Ironie du sort : la levée des sanctions américaines, perçues par les analystes comme une aubaine pour le régime, « était une cause que nous portions avec Umma, car les retombées des sanctions affectaient le petit peuple, pas les dirigeants », nous explique notre cadre communiste. Et ce dernier, après avoir pointé du doigt la concomitance du tour de vis sécuritaire et du rapprochement avec le grandes puissances, ironise sur un ton militant : « Au Soudan, ce sera bientôt le libre-échange sans les libertés. »

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