Les « émeutes du pain » : quand Bourguiba reconnaissait ses torts et que Ben Ali revenait en Tunisie

L’Instance Vérité et Dignité (IVD) a organisé début janvier une audition publique sur les émeutes de janvier 1984. Jeune Afrique revient sur les conséquences politiques de cet épisode de l’histoire tunisienne.

Couverture de Jeune Afrique n° 1202 du 18 janvier 1984. © Archives Jeune Afrique

Couverture de Jeune Afrique n° 1202 du 18 janvier 1984. © Archives Jeune Afrique

CRETOIS Jules

Publié le 15 janvier 2018 Lecture : 2 minutes.

Le 4 janvier dernier, l’Instance Vérité et Dignité (IVD), chargée de traiter les préjudices commis sous les régimes de Habib Bourguiba et de Zine el-Abidine Ben Ali, a organisé une séance d’audition publique à son siège à Montplaisir, à l’occasion du 34ème anniversaire des émeutes du pain.

En début de séance, la présidente de l’IVD, Sihem Ben Sedrine, a déclaré que près de 1 250 dossiers relatifs aux événements de janvier 1978 avaient été déposés, principalement pour des faits de meurtres, d’agressions physiques, et d’arrestations injustifiées suivies d’emprisonnement.

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Une vingtaine de victimes de la répression de ce mouvement de colère de 1983-1984 ont témoigné. Elles ont essentiellement appelé à ce que toute la vérité soit faite sur cette période. À ce jour, certaines familles n’ont toujours pas la localisation des lieux d’enterrement de leurs proches, tombés lors des émeutes.

Bourguiba reconnaît son implication

Fin 1983, l’économie tunisienne souffre encore du deuxième choc pétrolier. Le Fonds Monétaire International (FMI) exige du gouvernement un plan d’austérité, auquel il répond le 29 décembre par la réduction des subventions sur les produits céréaliers. Les prix flambent, à l’instar de celui des pâtes qui prend 70 %, ce qui entraîne des soulèvements dans le Sud, qui se propagent à l’ensemble du pays, jusqu’à gagner Tunis le 3 janvier. Habib Bourguiba décrète le couvre-feu et l’état d’urgence. En vain.

143 morts et plus d’un millier d’arrestations

Lors d’un entretien accordé à Jeune Afrique au cours de la crise, le Premier ministre Mohamed Mzali établit le nombre de victimes à 70 morts, 400 blessés et environ 800 arrestations. Un bilan revu à la hausse le 18 janvier 1984 par J. A., qui révèle que les émeutes et leur répression auraient causé 143 morts et plus d’un millier d’arrestations.

>>> A LIRE – Ce jour-là : le 29 décembre 1983 les émeutes du pain embrasent la Tunisie

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Le dénouement des émeutes, lui, est étonnant. Après neuf jours de protestation, le 6 janvier 1984, Bourguiba prononce un discours retransmis à la télévision, où il annonce l’annulation de l’augmentation. Il reconnaît « son implication partielle dans la décision d’augmentation des prix », remarquent les historiens Larbi Chouikha et Éric Gobé dans leur ouvrage Histoire de la Tunisie depuis l’indépendance.

Ces derniers continuent : « L’allocution du Combattant suprême a pour effet de retourner la situation : les émeutiers de la veille, accompagnés de manifestants encadrés par le PSD [parti au pouvoir, ndlr], descendent dans la rue pour exprimer, cette fois, leur contentement. »

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Le retour de Ben Ali

Mais un autre événement a également eu lieu. Zine el-Abidine Ben Ali, alors en poste en Pologne depuis 1980, est rappelé afin d’aider à la gestion de la crise. Sa réputation de dur, acquise pendant les manifestations de 1978, lui vaut un retour alors que la guerre de succession autour du président fait rage. Ce dernier a en effet imputé l’essentiel de la responsabilité des augmentations à son gouvernement lors de son discours télévisé…

L’ambitieux sécuritaire ne perd pas son temps. Dans la foulée des « émeutes du pain », il est promu ministre délégué chargé de la Sûreté nationale au ministère de l’Intérieur, lors du remaniement ministériel d’octobre 1985. Il marche déjà sur les plates-bandes du Premier ministre Mohamed Mzali, petit à petit marginalisé. En 1986, Ben Ali est encore remercié : il est nommé ministre de l’Intérieur.

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