Le ramadan, privation de… travail ?
Pendant le mois saint de l’islam, on ne fait pas que se priver. Et si l’on se prive, on ne se prive pas seulement de nourriture. On pratique également le labeur avec modération. Surtout quand le foot et les pluies s’en mêlent…
C’est écrit, l’événement le plus important du neuvième mois du calendrier musulman est ce pilier de l’islam que constitue le jeûne. Incultes en matières religieuses, les mécréants imaginent alors des croyants épuisés par leurs efforts surhumains de privation, ralliant péniblement le terme d’un "carême" qui les laissera amaigris. Bien sûr, ne rien ingurgiter de la prière de as-soubh (à l’aube) à celle d’al-maghrib (au crépuscule) constitue un défi physiologique. Les dérogations accordées aux malades, aux enfants ou aux voyageurs sont là pour le confirmer. Pourtant, il y a des bedaines qui, au cours de cette période, s’arrondissent sous les boubous…
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Tous les pratiquants ne mangent pas moins en ce mois de jeûne. Ils ingurgitent parfois plus et souvent plus "lourd". Pour compenser la frustration diurne, on se remplit la panse avant l’aube, à une heure où notre estomac est habituellement en mode veille. Et l’on charge d’autant plus le repas du soir que l’on a senti quelque crampe d’estomac, que le souper baigne dans une ambiance d’émulation sociale et que l’on tente – comme un catholique au baptême de son rejeton – d’épater la galerie avec la table…
Ramadan rime donc avec surconsommation, comme en témoigne la traditionnelle effervescence des marchés africains en pleine spéculation de prix ; comme en témoignent également les initiatives d’enseignes européennes qui multiplient des références commerciales que leurs racines judéo-chrétiennes les font qualifier d’"orientales". En avant pour les nouvelles marques estampillées halal, volontiers avec un packaging de camélidé ! Et en avant, sur tous les continents, pour une alimentation des plus riches, les yeux devenant parfois plus gros que le ventre…
Il est donc moins question de réduction du nombre des calories que de leur nouvelle répartition dans la journée. La notion de chronogramme est d’ailleurs déterminante pendant les trente jours du jeûne. Les heures du prolétaire ne s’organisent plus tellement autour du travail. Le labeur est même le grand sacrifié de la période. Même s’il "économise" le temps des pauses-café, le fidèle qui s’est levé avant l’aube (après s’être couché tard) n’en est pas plus productif, commençant à bailler dès le milieu de la matinée. Vers 15 heures, il cède d’autant plus à la tentation de l’économie des forces que les complaintes de ses parois stomacales s’amplifient sous l’effet de la chaleur provoquée par le soleil. Déjà bombardé garde-chiourme du jeûne, l’astre à lumière ne manque pas de cruauté. Pour observer un pic de concentration professionnelle maximale, repassez en août…
Les heures du prolétaire ne s’organisent plus tellement autour du travail. Le labeur est même le grand sacrifié de la période.
Le soleil étant l’ennemi objectif du jeûneur, ce dernier peut se réjouir, en Afrique de l’ouest, de la concomitance du mois saint avec la saison des pluies ; mais pas l’employeur. La bruine – et parfois la simple menace de bruine identifiée dans un nuage – est la meilleure excuse des absentéistes notoires qui circulent en deux-roues exposés aux intempéries. S’il est difficile de faire venir certains employés au bureau, est-il garanti d’y garder ceux qui sont venus ? Pas si sûr. Quand "milieu d’après-midi" rime avec "match de Coupe du monde", le cuir chevelu, comme par magie, semble moins sensible à l’humidité des gouttes de pluie…
Bref, si vous souhaitez retenir l’attention d’un travailleur en période de Mondial-jeûne-mousson, évitez surtout de le solliciter avant 14h59 et après 15h01. Qui a dit qu’en période estivale, on ne sent pas, à la différence de l’Europe, une ambiance de vacances dans les contrées africaines ?
Un dernier ingrédient plus spécifique à certains pays peut finir de dynamiter la journée de travail : l’incertitude politique. Au Burkina Faso, par exemple, c’est parce qu’il ne voudrait pas plonger le pays dans une léthargie pré-électorale économiquement stérile que le président Blaise Compaoré ne dévoilerait pas ses intentions pour la prochaine présidentielle. C’est pourtant parce qu’il ne confirme pas son départ du pouvoir en 2015 -comme le prévoit l’actuelle version de la constitution- qu’il incite les fonctionnaires politisés et les opérateurs économiques acoquinés à ne pas faire de vagues. Au quotidien, une incertitude presque inédite décourage les efforts que des cols bleus jugent illusoires avant la tempête. Elle encourage les cols blancs à occuper leur journée avec des manigances politiques, du lobbying égoïste ou des consultations de marabout…
En résumé, l’emploi du temps d’un Ouest-africain ressemble bien souvent à une passoire : 4h00 : repas du sahur – 9h30 : départ pour le bureau après quelques menaces de pluie – 10h15 : consultation politico-mystique – 12h20 : récupération du sommeil d’une nuit trop courte – 15h45 : observation de la fine pluie qui immobilise à la maison – 14h00 : opération de lèche-bottes politique malgré la pluie – 16h00 : match du Mondial – 18h00 : réveil musculaire de l’estomac avant la rupture du jeûne – 20h00 : re-match du Mondial – 22h : approvisionnement pondéral et dépense de l’excès de repos de midi…
Il faudra sans doute tout le mois d’août pour se reposer de ce mois de juillet inactif…
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Damien Glez
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