Sénégal : après la déroute des élections, Macky Sall « limoge » Mimi Touré

Attendue depuis dimanche soir, la décision est intervenue cinq jour plus tard. Défaite dans la commune de Grand-Yoff face au maire de Dakar Khalifa Sall, la première ministre Mimi Touré et son gouvernement paient les pots cassés au lendemain d’élections locales décevantes pour le camp présidentiel.

Mimi Touré, en décembre 2012 à Dakar. © AFP

Mimi Touré, en décembre 2012 à Dakar. © AFP

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Publié le 5 juillet 2014 Lecture : 4 minutes.

"Les visites de proximité de dernière heure à des gens considérés comme des tiroirs qu’on ouvre uniquement à l’approche d’élections sont les preuves tangibles des fins de règne. Cette démarche de Khalifa Sall, avilissante, oppressante, déshonorante et humiliante, est fortement rejetée par les populations de Grand Yoff". Des flèches empoisonnées telles que celle-ci, Aminata Touré et son staff de campagne en ont décochées plus que de raison à leur adversaire socialiste Khalifa Sall, dont le parti est pourtant officiellement l’allié de l’Alliance pour la République (APR, parti présidentiel) au sein de la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY).

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Le bilan du maire de Dakar, estimaient-ils, était si peu flatteur que les populations de Grand-Yoff ne pourraient que mettre un terme à son mandat en l’écartant de la mairie de cette commune d’arrondissement à l’occasion des élections locales du 29 juin, au profit de "Mimi" Touré. À l’arrivée, Khalifa Sall a été plébiscité par les populations de Grand-Yoff et de quatorze autres communes sur les dix-neuf que compte la capitale sénégalaise. Quant à Aminata Touré, défaite dans les urnes à son premier examen de passage électoral –  y compris dans son propre bureau de vote  –, elle a été remerciée vendredi soir par le président Macky Sall avant même d’avoir soufflé la première bougie de sa nomination comme premier ministre, le 1er septembre 2013.

Officiellement, les élections locales n’avaient aucune envergure nationale et, à en croire le ministre des Affaires étrangères Mankeur Ndiaye, n’avaient "rien à voir avec le président de la République". Leur résultat a pourtant amené ce dernier à se passer des services de celle qui fut, pendant plus de deux ans, sa principale personne de confiance. Nommée ministre de la Justice au lendemain de l’élection présidentielle de mars 2012, chargée du dossier hautement sensible de la "traque aux biens mal acquis", la charismatique Aminata Touré allait rapidement éclipser le reste du gouvernement, du porte-parole Abdoulatif Coulibaly au premier ministre Abdoul Mbaye. En septembre 2013, à l’occasion d’un premier remaniement, Macky Sall allait officialiser la prééminence de sa garde des Sceaux en la nommant première ministre. Encore inconnue deux ans plus tôt, cette ancienne fonctionnaire internationale, longtemps expatriée aux États-Unis, imposait la fraîcheur de la société civile sur une scène politique peuplée de dinosaures.

Autoritaire

Mimi Touré est combative. De son passé de sportive étudiante et de militante politique dans des organisations d’extrême gauche, elle a conservé un goût marqué pour les défis, les affrontements et les joutes rhétoriques. À l’approche des élections locales, lorsqu’il lui a fallu choisir un bastion électoral, elle a décliné la perspective de conquérir Gossas, où elle avait passé sa jeunesse et où une victoire était à sa portée. C’est à Grand-Yoff, une commune importante de Dakar, qu’elle a décidé de venir se mesurer à Khalifa Sall, enclenchant une réaction en chaîne qui allait lui être fatale.

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Première conséquence de ce choix : peu portée sur les compromis –  voire "autoritaire", selon ses propres amis politiques  –, Mimi Touré a contribué à accentuer la scission, dans les 19 communes de la capitale, entre une liste présidentielle estampillée BBY et une liste fédérant les différents partis ayant travaillé depuis 2009 au conseil municipal de Dakar, emmenée par le maire sortant Khalifa Sall. Subitement, cet allié théorique, bénéficiant d’une bonne réputation parmi les populations de la capitale, devenait un adversaire à abattre, au risque d’inciter le parti socialiste à reconsidérer son alliance avec la mouvance pro-Macky Sall.

En revendiquant ce parachutage à Grand-Yoff –  où elle pouvait se prévaloir d’un titre de propriété foncière mais pas d’un véritable ancrage politique–, Mimi Touré a également fait grincer les dents de ses propres camarades de parti. En particulier celles d’Adama Faye, militant de l’APR à Grand-Yoff et beau-frère du président, qui a dû lui céder sa place à la tête de la liste majoritaire après moult médiations.

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De même que l’appétit vient en mangeant, les ambitions de Mimi Touré semblent s’être aiguisées au fil de son ascension, au point d’indisposer une frange de plus en plus large de cadres issus de son propre camp. Déjà titulaire du poste de Premier ministre, elle convoitait en effet le leadership de l’APR tout en cherchant à se caser dans la capitale. Même si elle assurait vouloir se contenter de la mairie de Grand-Yoff, il semblait vraisemblable qu’en cas de victoire, elle aurait convoité le fauteuil de Khalifa Sall. De là à déduire qu’elle s’en serait servi comme d’un tremplin pour briguer un jour la présidence de la République, il n’y avait qu’un pas.

Limogée

Pour Mimi Touré, ce fut un faux pas. Comme elle, une bonne dizaine de ministres en vue et de hauts responsables de l’APR se sont cassés les dents au soir des locales. Même si la mouvance présidentielle présente depuis le début de la semaine son bilan électoral comme une victoire (se prévalant d’être passée de 19 collectivités locales contrôlées en 2009 à plus de 400 sur 600 en 2014), la plupart des observateurs s’accordent à considérer que les Sénégalais ont adressé un coup de semonce à Macky Sall. Pour l’instant, ces derniers restent circonspects face au bilan du successeur d’Abdoulaye Wade, aujourd’hui confronté à l’impatience d’une population qui attend toujours de percevoir dans son quotidien les bienfaits de la seconde alternance.

Au soir du 4 juillet, des sources dans l’entourage de Mimi Touré faisaient savoir que celle-ci avait été purement et simplement "limogée" après avoir refusé de présenter sa démission. Vendredi soir, en plein quart de final entre la France et l’Allemagne retransmis par la RTS  1, un bandeau défilant indiquait que le président rendait "hommage au Premier ministre Aminata Touré pour son dévouement à ses côtés et la félicit[ait] pour le travail accompli dans la quête d’un nouveau devenir pour le peuple sénégalais". Une mince consolation pour celle qui, après s’être sentie pousser des ailes, est brutalement retombée sur terre.

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Mehdi Ba, à Dakar
 

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