Mauritanie : plein d’arêtes dans le poisson
L’accord de 2013 avec l’Union européenne garantit la pérennité des ressources halieutiques tout en protégeant les intérêts des pêcheurs locaux. Sa renégociation donne lieu à d’âpres discussions.
Mauritanie, cinq ans pour tout changer
Réélu en juin 2014 pour un dernier mandat, Mohamed Ould Abdelaziz a bien des atouts en mains pour atteindre ses objectifs. Même si plusieurs inconnues subsistent, à commencer par la menace terroriste ou la mise en place du dialogue avec l’opposition.
« Avant, il était plus facile de prospérer dans la pêche, mais il y avait de quoi s’inquiéter quant à l’avenir du secteur ! » Pour Ahmed Yahya (Ahmed Ould Abderrahmane, avant la réforme de l’état civil), 38 ans, fondateur et directeur de l’Agence maritime mauritanienne (A2M), armateur et consignataire à Nouadhibou, les accords de partenariat de pêche (APP) signés en 2006 entre son pays et l’Union européenne (UE) ont marqué une étape dans la gestion durable des ressources halieutiques nationales, jusqu’alors allègrement pillées.
Après vingt années de règne de Maaouiya Ould Taya, il existait seulement des accords surnommés PPP (« payer, pêcher et partir »), qui ne s’embarrassaient guère des conséquences de la surpêche.
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Compte tenu du poids du secteur dans l’économie locale, les autorités devaient redéfinir la règle du jeu avec les partenaires, en particulier l’UE, la Russie et la Chine.
« Jusqu’en 2006, il n’y avait aucune contrainte en matière de quotas et de zonage, les contrôles en mer étaient quasi inexistants, et les navires étrangers puisaient sans limite, rappelle Ahmed Yahya. Progressivement, des mesures sont venues encadrer ces pratiques. La pêche de fond a été limitée, et des quotas ont été définis pour certaines espèces. »
Capture
Un cap salutaire a été franchi en octobre 2013 avec la signature du nouvel APP pour la période 2012-2014 (appliqué de manière provisoire dès août 2012). « C’est le premier accord vraiment équitable, dont les dispositions permettent à la fois de préserver les intérêts des pêcheurs locaux et de garantir la pérennité des ressources halieutiques », et en particulier celle des poulpes, à forte valeur commerciale, dont la moitié des prises mondiales a lieu au large des côtes sénégalo-mauritaniennes.
L’accord prévoit d’abaisser les quotas de capture et de réserver l’exclusivité de la prise des poulpes à la PAC (pêche artisanale et côtière) mauritanienne. Il oblige également les navires étrangers à embarquer au moins 60 % de nationaux dans leurs équipages (contre 37 % auparavant) et de débarquer leur marchandise dans les ports mauritaniens, la Commission européenne et les armateurs s’engageant à reverser 110 millions d’euros par an aux autorités (contre 90 millions dans l’accord précédent).
Rien d’étonnant à ce que ce partenariat novateur ait donné lieu à d’âpres échanges avec l’Espagne et certains armateurs, hostiles notamment à l’interdiction de la pêche au poulpe…
Ces derniers aimeraient bien revenir sur certains acquis à l’occasion de la renégociation du protocole, en cours depuis le mois de mai. Le dernier round de négociations entre Européens et Mauritaniens, les 9 et 10 octobre, à Bruxelles, s’est par ailleurs soldé par une suspension temporaire du processus. Les deux parties n’ont pu en effet surmonter leurs divergences portant sur le montant de la contrepartie financière due par l’UE et les armateurs, ainsi que sur l’utilisation par les autorités mauritaniennes du fonds de soutien au secteur. Et le bras de fer semble loin d’être terminé.
YahYa, le foot et la FFRIM
Ahmed Yahya était encore étudiant lorsqu’il a participé, en 1999, à la création du FC Nouadhibou, dont il sera président délégué, puis président.
Le club s’est rapidement imposé comme l’un des meilleurs du pays.
« À Nouadhibou, on n’avait que ça : la pêche et le foot », sourit l’armateur. En 2011, alors que les Mourabitounes (surnom donné à l’équipe) sont en pleine traversée du désert, il décide de briguer la présidence de la fédération nationale (FFRIM).
« Ce n’était pas évident, car mon travail dans la pêche me prend beaucoup de temps. Mais, à la surprise générale, j’ai été élu, se souvient Ahmed Yahya. Nous avons investi, puis bénéficié du soutien moral et financier de l’État pour nous professionnaliser et nous moderniser. »
Nouveau siège, académie nationale gérée par une équipe technique espagnole, résultats encourageants chez les juniors, qualification historique des Mourabitounes au Championnat d’Afrique des nations (Chan) 2014…
En trois ans, la sélection nationale a gagné plus de 60 places dans le classement Fifa, passant du 206e rang en 2012 au 140e en septembre 2014.
Créée en 2001 pour répondre à la demande des armateurs européens (principalement espagnols) qu’un professionnel les représente au niveau local, A2M est rapidement devenu le consignataire de l’Association des armateurs céphalopodiers espagnols (Anacef) et de la plupart des armateurs de cette branche opérant dans les eaux mauritaniennes.
« Pendant quelque temps, j’ai même exercé un monopole sur le secteur, mais, aujourd’hui, je suis un consignataire parmi d’autres », explique Ahmed Yahya.
Délocalisation
En plus de ses activités, A2M milite depuis sa création pour que ses partenaires européens s’intègrent à l’économie mauritanienne en délocalisant leurs opérations de déchargement et de logistique à Nouadhibou plutôt qu’à Las Palmas (Portugal) ou à Dakar.
Elle a ainsi été la première société à décharger un céphalopodier espagnol dans le port autonome de Nouadhibou, en 2002.
« En 2003, j’ai aussi « mauritanisé » une entreprise de pêche espagnole en en devenant actionnaire à 51 %, raconte Ahmed Yahya. Ensuite, mon activité de consignataire s’est étendue à celle d’armateur. »
La prochaine étape pour A2M pourrait être d’investir dans la transformation industrielle du poisson, un secteur encore très peu développé dans le pays.
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