Lettres de Kinshasa #1 : « Kin ya bana kin ! »
Une Congolaise retourne à Kinshasa après trois ans d’absence. Insécurité, difficultés du quotidien, retrouvailles avec ses proches… Elle raconte son séjour à une amie restée à Paris. Si ses déceptions font naître un brin de révolte, elle reste fascinée par la persévérance des jeunes Kinois. Récit épistolaire en trois volets.
Chère Joséphine, je suis bel et bien arrivée à Kinshasa !
Je brûlais d’impatience. Je ne pouvais qu’être satisfaite d’atterrir enfin dans ma ville natale après 8 heures de vol.
Le passage à la direction générale de l’immigration s’est fait sans tracasseries. Ce qui change des anciennes habitudes qui favorisaient corruption et fraude : on pouvait y passer jusqu’à deux heures en formalités. Maintenant, cela fait meilleure impression pour un pays qui occupe pourtant la 156e place sur 177 dans le rapport sur la perception de la corruption dans le monde, publié début 2017 par l’ONG Transparency International.
Au sortir de cette aérogare modulaire inaugurée en grande pompe il y a deux ans par le président de la République Joseph Kabila, il est presque 19 heures. Le ciel tropical qui m’accueille est lourd. L’ambiance grise, tout le monde se presse, s’impatiente dans l’attente des passagers. J’arrive à différencier l’odeur familière d’une odeur nouvelle. Et cette odeur kinoise polluée par le trafic est bien de chez moi !
Deux messieurs, la quarantaine révolue, sobrement vêtus, visiblement fatigués, me suivent jusqu’à la montée en voiture. Ils me réclament de l’argent. « Tomela mayi mikiliste » (« donne-nous de quoi boire un verre, t’es de la diaspora »). L’un d’eux le répète avec une insistance à faire pitié.
-Mais qu’avez-vous fait pour que je vous donne des sous ? « Tobateli car » (« nous avons veillé sur la voiture »), rétorque l’autre sur un ton qui frise l’impolitesse.
Son camarade lui fait discrètement signe de la main pour lui demander d’employer un ton plus modéré.
Le Kinshasa profond
En sortant de l’aéroport, au fur et à mesure que la voiture avance en direction de la commune de Limeté, rien ne resplendit plus, l’éclairage ourle le trottoir. Les grands poteaux de lumières éclairent à peine le grand boulevard sablé en surface. C’est la nationale numéro 1 qui traverse plusieurs communes (arrondissements) situées à l’est de la ville, notamment N’djili, Masina et le quartier De bonhomme.
Le Kinshasa profond est visible dès la commune de Masina dont on oublie jamais le passage. Qu’on soit en voiture ou à pied.
De gros camions sont stationnés là. Ils transportent légumes, charbon, manioc et tant d’autres denrées alimentaires en provenance du Bandundu, une province proche de la capitale. De jeunes gens musclés les déchargent pendant que d’autres s’apprêtent à prendre la route. C’est un commerce plutôt florissant dans la capitale, quoi qu’informel. Certains camarades s’investissent dans ce commerce à côté de leur boulot. Comme les gens s’arrachent de plus en plus les produits frais, acheter un camion et s’investir dans le secteur est très rémunérateur.
C’est bien le pays de Papa Wemba et de Fally Ipupa !
À côté de ces vieux camions stationnés, taxi-motos et autres véhicules roulent à vive allure dans la rue en cette fin de journée. Sur le trottoir, certains jeunes tiennent des kiosques devant les façades de maisons non rénovées ; à côté l’on trouve des glacières avec des boissons sucrées, de l’eau gazeuse ou plate à vendre. Musique à fond. C’est bien le pays de Papa Wemba et de Fally Ipupa ! Dans la même ambiance, des piétons marchent le long des boutiques, des femmes vendent des patates douces et des arachides, mais quelle cohue sur ce trottoir cabossé et pierreux ! On s’y croise au coude à coude et les voleurs en profitent.
J’avais aussi oublié qu’à Kinshasa, les chauffeurs-taxi se prennent quasiment pour les maîtres suprêmes de la route. Il faut dire que sur ce grand boulevard peu éclairé, les agents de l’ordre en tenue de service – du bleu foncé et un jaune qui tend à devenir jaunâtre – sont à peine visibles. Certains sont munis de bâtons, et n’hésitent pas à s’en servir pour cogner sur les bus qui provoquent sciemment l’embouteillage. Quelques chauffeurs s’arrêtent pour une poignée de main avec les agents routiers. Peu importe si cela peut ralentir le trafic. Surtout quand ces poignées de mains sont accompagnées de billets ! Ça klaxonne dans tous les sens, ça roule, et ça roule vite !
Vendeurs à la sauvette et pickpockets
Autant certains chauffeurs sont indisciplinés, autant les vendeurs à la sauvette en profitent pour se faufiler sans pétoche entre deux voitures et se transformer en pickpockets. Rien n’a changé. Un sentiment de frayeur trouble assez vite l’esprit. Une crainte continuelle qui succombe quand même à la curiosité passionnée qui prend le dessus : « Kin ya bana kin » aiment à répéter fièrement les Kinois. (« Kinshasa n’appartient qu’aux Kinois »).
« Es-tu sûre d’avoir bloqué ta portière ? » me demande le chauffeur qui tremble comme une feuille, après avoir aperçu un jeune-vendeur s’échapper d’un autre véhicule avec un objet à la main.
-Mais comment font-ils pour déceler qu’il y a un objet à voler ?
C’est simple, répond le chauffeur. « La lumière de l’écran du téléphone se reflète sur le visage et les attire. La rapidité avec laquelle ils regardent toutes le voitures est surprenante, mais personne n’ose descendre pour les arrêter, même les agents de l’ordre sont incapables de trouver une solution », poursuit-il. Sans doute l’une des raisons pour lesquelles les chauffeurs de taxi s’improvisent agents de sécurité pour prévenir les passagers…
La fin de la journée, pour ces Kinois que j’observe à travers les vitres de la Jeep qui m’emmène, m’a semblé comme la fin d’un match de football qui se serait poursuivi jusqu’aux prolongations. Les joueurs sont fatigués, ils ont tout donné ! Les Kinois vivent au quotidien…
Sur le coup, facile de ne lire que la rage de ne pouvoir réussir ou la misère dans ces regards confondus
Dans un contexte de crise économique et sociale durable que traverse le Congo depuis une vingtaine d’années, dans un pays où 8 personnes sur 10 vivent sous le seuil de pauvreté absolue, où aucune loi ne réglemente le salaire minimum des salariés, il y en a qui travaillent comme femme de ménage chez des particuliers, 30 jours sur 30 pour 150 USD par mois soit près de 120 euros. Chacun fait ce qu’il peut pour gagner son petit pain et c’est à se demander comment certains parviennent à survivre – en multipliant les petits boulots, parcourant parfois de longs trajets avec des moyens de transports difficiles et coûteux. Kinshasa, c’est l’école de la débrouillardise.
Le regard des uns erre au hasard, celui des autres est d’une froideur qui glace. Sur le coup, facile de ne lire que la rage de ne pouvoir réussir ou la misère dans ces regards confondus. Avec le recul, quelques jours après, ces regards sont plus à considérer tout simplement comme de la fatigue après une dure journée de travail. Juste avant d’arriver au pont Matete, le chauffeur empreinte rapidement la voie droite : « La route des poids lourds traverse le quartier de Kingambwa et la commune de Limeté. C’est la plus rapide, explique le chauffeur pour arriver à la gare centrale de Kinshasa. Le séjour s’annonce chargé en émotions et en couleurs…
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