La Tunisie « retombe dans ses travers autoritaires », selon International Crisis Group
Dans un rapport intitulé « Endiguer la dérive autoritaire en Tunisie », International Crisis Group pointe une « nostalgie du régime de Ben Ali » et un « manque de volonté politique » dans l’application de la Constitution de 2014.
La Tunisie vient de connaître le plus large mouvement de contestation à la politique du gouvernement depuis la révolution du 14 janvier 2011. Des manifestations ont éclaté dans plusieurs villes du pays pour dénoncer la cherté de la vie, débouchant sur des affrontement quotidiens opposant policiers et protestataires. Près d’un millier de personnes ont été arrêtées.
Un climat délétère qui jette une lumière crue sur les faiblesses de la transition démocratique dans une Tunisie qui célèbre le septième anniversaire de la révolution qui a conduit à la chute de Ben Ali, le 14 janvier 2011.
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Le rapport publié le 11 janvier par International Crisis Group (ICG) – Endiguer la dérive autoritaire en Tunisie – dissèque la crise politique face à laquelle se trouve une majorité gouvernementale tiraillée par des dissensions internes – l’accord de Carthage signé en 2016 pour permettre la mise en place d’un gouvernement « d’union nationale » ne cesse de se voir larder de coups de canifs – et de plus en plus décriée par des mouvements populaires. Avec une conséquence principale : la tentation de « renvoyer sine die les réformes prévues par la Constitution ».
« Dans un contexte de marasme économique, la nostalgie d’un État fort, à l’image de celui que l’ancien régime prétendait défendre, se répand », écrivent les auteurs du rapport. Cependant, « la dérive autoritaire actuelle a peu de chances d’aboutir à l’établissement d’un régime comparable à celui de Ben Ali ».
Raison principale de cette impossible retour ? La vitalité de la société tunisienne. « Les divisions politiques et socioéconomiques sont nombreuses et la liberté de ton s’est installée dans les médias au cours des sept dernières années. Les tentatives visant à restaurer un climat de peur parmi la population s’opposeraient à de fortes résistances. La gouvernance n’en sera pas plus efficace et les conflits étouffés finiraient par resurgir de manière plus violente », juge ICG.
Retour sur les points saillants de ce rapport :
• L’alliance Nidaa-Ennahda « manque de cohérence »
La relation de défiance historique entre ces deux partis alimente la crainte, en interne, d’un éclatement de l’alliance, ce qui fragilise leur coopération. L’ICG décrit la relation des deux partis politiques comme étant une « coopération concurrentielle ».
Si les deux organisations tentent d’entretenir leur alliance, celle-ci est mise à mal par ce qu’elle provoque comme « manque de cohérence interne » et d’« identité politique ». Le rapport évoque également la mainmise des deux partis sur des postes clés au sein des administrations, des entreprises et des médias.
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• Retards dans la mise en place de la Constitution de 2014
Les frictions entre les partis coalisés au sein du gouvernement ralentissent la mise en place des réformes – en particulier celles impliquées par la Constitution adoptée en 2014.
L’ONG cite notamment les mesures relatives à la loi électorale, qui a entraîné le report des élections municipales prévues initialement pour fin 2016. ICG souligne également le retard pris dans la mise en place de la Cour constitutionnelle, qui reste la seule « institution pivot, notamment en cas de crise d’ampleur ».
Concernant les instances administratives indépendantes qui ont été créées depuis la révolution, l’ICG dénonce encore une fois la mainmise des deux forces politiques qui « ont réduit l’autonomie de ces instances, régissant de plus en plus leur composition, leur organisation, ainsi que les modalités de leur contrôle, à rebours de l’élan démocratique suscité par le départ de Ben Ali et que la Constitution est censée porter ».
Une mainmise que l’ONG estime s’étendre jusque dans le domaine judiciaire, notamment par le biais de la croisade anti corruption lancée par le Premier ministre Youssef Chahed. Celui-ci a « tiré profit de l’arrestation de l’homme d’affaires controversé, Chafik Jarraya, que plusieurs analystes politiques tunisiens présentent comme l’un des principaux mécènes du bloc parlementaire de Nida Tounes. Il a ainsi lancé une « guerre contre la corruption » que des militants d’Ennahda et de Nida Tounes accusent de servir ses intérêts politiques », lit-on dans le rapport.
>>> A LIRE – Corruption en Tunisie : l’opération « mains propres » de Youssef Chahed
• Un régime qui se présidentialise
L’ICG dénonce la personnalisation du pouvoir par Béji Caïd Essebsi qui tente de s’imposer comme le principal médiateur entre les entités politiques du pays. Le président multiplie par exemple les rencontres à huis clos avec les dirigeants des principales forces politiques et syndicales.
Selon un sociologue cité de manière anonyme dans le rapport, le but poursuivi par la multiplication de ces rencontres serait de « rendre plus opaque le contenu des discussions, pour éviter de prêter le flanc à la critique et avoir à justifier sans cesse l’utilité de l’alliance ou les choix stratégiques convenus de manière consensuelle et discrète. »
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• Une Assemblée « gérée comme un ministère »
Le président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Mohamed Ennaceur, également membre de Nidaa Tounes « gère son Parlement comme un ministère », accuse le rapport de ICG.
« Malgré l’ambiance démocratique que l’opposition tente de préserver en y ouvrant des polémiques, l’Assemblée risque de devenir une chambre d’enregistrement de décisions politiques prises en amont, comme sous le régime de Ben Ali. Beaucoup de députés « changent leur position après avoir reçu un coup de fil », observe un ancien assistant parlementaire sous la troïka (2011-2014) » que l’ONG cite de manière anonyme.
International Crisis Group livre par ailleurs une série de recommandations à l’adresse des « décideurs » tunisiens, enjoints d’organiser au plus vite les élections municipales maintes fois reportées, d’accélérer la mise en place effective de la Cour constitutionnelle et d’« accroître l’autonomie du Parlement».
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