Côte d’Ivoire : les extraits du livre-choc de Laurent Gbagbo

Dans un livre en librairie ce 26 juin, « Pour la vérité et la justice », cosigné avec le journaliste François Mattei, Laurent Gbagbo écrit son histoire politique de la crise ivoirienne, depuis sa cellule de Scheveningen, près de La Haye. Se sentant trahi, se dressant volontiers en martyr de l’indépendance africaine vis-à-vis de la « Françafrique », l’ancien chef de l’État ivoirien règle également ses comptes avec Alassane Ouattara, Guillaume Soro et, bien sûr, Nicolas Sarkozy.

Laurent Gbagbo, lors d’une audience à la CPI. © AFP

Laurent Gbagbo, lors d’une audience à la CPI. © AFP

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Publié le 26 juin 2014 Lecture : 6 minutes.

Il n’est guère étonnant de voir Laurent Gbagbo, historien passionné d’ouvrages anciens, choisir le Verbe pour transmettre sa vérité, sa version de la crise ivoirienne, pré ou post-électorale, qui l’a vu chuter. Chantre de la rupture entre l’Afrique et les réseaux de la "Françafrique", l’ancien président est intarissable, bien aidé par la plume convaincu du journaliste François Mattei, qui l’a rencontré à de multiples reprises.

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Sur ses relations avec l’Élysée, sur les causes profondes de la crise ivoirienne, qu’elles soient économiques ou démographiques, sur les tragiques événements de Bouaké et sur les accords de Marcoussis, Laurent Gbagbo livre la réflexion de l’accusé qu’il est, attendant son procès à la Cour pénale internationale (CPI). Surtout, il règle des comptes, de manière plus ou moins véhémente, avec les acteurs de la crise. D’Alassane Ouattara à Blaise Compaoré, de Guillaume Soro à Nicolas Sarkozy en passant par Dominique de Villepin – particulièrement visé. Voici quelques extraits à ne pas manquer de Pour la vérité et la justice, à paraître ce 26 juin.

  • "La bavure" de Bouaké et les accords de Marcoussis

"Ils [les rebelles] avaient perdu la partie et la France les a remis en selle sur le même plan que le pouvoir légitime… Villepin appelait ça la diplomatie de mouvement, moi j’y vois plutôt un coup d’État en gants blancs. (…) Je suis arrivé le jeudi 23 janvier 2003, par un vol régulier d’Air France : je craignais qu’on tire sur mon avion présidentiel. (…) À 11 heures [le vendredi], je suis parti pour l’Élysée, Le Monde était déjà paru. (…) j’ai découvert qu’ils y donnaient déjà le nom du futur Premier ministre, une proche de Ouattara, Henriette Diabré. (…) Villepin m’a dit que si je n’acceptais pas Diabré, il donnerait les ministères de l’Intérieur et de la Défense aux rebelles. J’ai tout refusé. (…) Ils voulaient juste, au mieux, me transformer en reine d’Angleterre, pour que je n’aie plus de véritable rôle politique."

Ils voulaient juste, au mieux, me transformer en reine d’Angleterre, pour que je n’aie plus de véritable rôle politique.

"À peine informé des événements de Bouaké, j’apprenais qu’une colonne française (…) s’approchait d’Abidjan (…). Au milieu de la nuit, cette colonne encerclait la résidence présidentielle (…). Les Français ont dit après coup "qu’ils avaient fait une erreur de trajet". Quand on connaît Abidjan, c’est impossible à croire. Ils venaient donc pour me faire fuir ou me faire tuer par quelqu’un pour me remplacer : le plan était de mettre Doué [son chef d’état-major, réputé proche des Français] à ma place "en intérim", mais il s’est dégonflé. (…)

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  • Ouattara, Soro, Bédié, Sarkozy, Villepin, Compaoré…
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"L’Élysée a toujours eu deux fers au feu : "Bédié et Ouattara". Le problème en Côte d’Ivoire est venu de leur rivalité à la mort d’Houphouët, qui est allé jusqu’à l’exclusion de Ouattara par Bédié. (…) Il a même lancé contre lui un mandat d’arrêt international (…), mandat que j’ai levé quand j’ai eu le pouvoir. Ils sont aujourd’hui ensemble contre moi. Je n’aimerais pas être dans l’intimité de leur conscience."

Ouattara n’a pas compris que le tribalisme était dépassé.

"C’était en 2001 je pense. Villepin et Robert Bourgi m’ont demandé de cracher au bassinet pour l’élection [de Jacques Chirac] en 2002 en France. (…) C’était le prix pour avoir la paix. (…) Je ne suis pas fier de cet épisode mais je pensais y gagner la marge de manœuvre nécessaire pour avancer vers nos objectifs. On me l’a reproché. (…) Comme si on pouvait toujours répondre à des partenaires aussi puissants (…)."

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"J’ai été pendant toutes ces années comme un poisson qu’on voulait asphyxier en le jetant sans arrêt hors de l’eau. Mais je réussissais toujours à replonger dans mon élément (…). Alors Sarkozy a pris un gourdin. Ce que j’avais sous-estimé, c’était [sa] volonté de tout faire pour placer au pouvoir son ami intime Alassane Ouattara. (…) Je n’avais confiance ni en Soro, ni en Compaoré, ni en Ouattara. Je savais que leur but premier était de prendre le pouvoir (…). Il s’agissait pour eux de faire disparaître la Côte d’Ivoire dans un ensemble plus vaste comprenant notamment le Burkina Faso (…)."

Chez Sarkozy, à la place des idées, il y a l’arrogance.

"Ouattara n’a pas compris que le tribalisme était dépassé. Qui a construit la République et qui l’a cassée ? Nous avions une armée et une police, il les a mises de côté et remplacées par des milices tribales. (…) C’est aux armes que Guillaume Soro doit sa place. Il devra s’inquiéter si un jour il ne les a plus avec lui." 

"Sarkozy ramène tout à lui. (…) Il était l’ami de Ouattara et il ne m’aimait pas, je l’ai toujours su. (…) Chez lui, à la place des idées, il y a l’arrogance. Georges W. Bush était le symbole achevé de ce type d’homme. Ce sont des hommes sans pensée profonde. C’est dans cette catégorie que je classe Sarkozy. Ou Villepin. Des arrogants, qui utilisent leur arrogance en lieu et place de la pensée. C’est comme cela qu’ils croient montrer que la France est grande, alors qu’ils prouvent seulement qu’elle est devenue petite."

  • Le cacao et le franc CFA, des causes de la chute

"Pour savoir si on était à la veille d’un coup d’État en Côte d’ivoire, ces dernières années, il suffisait de regarder le cours du cacao ! (…) En 2007, j’avais lancé une grande enquête sur la filière (…), il y a avait eu de nombreuses arrestations, le nettoyage était en train de se faire. (…) Tout menait à des abus et des fraudes caractérisés de la plupart des exportateurs au détriment de l’État et des planteurs, et à la complicité de certains ministres. J’en connais qui ont tourné casaque pendant les dernières élections  pour passer dans le camp d’en face et se mettre au sec…"

Un président du FMI (…), je comprends que c’était préférable à Laurent Koudou Gbagbo.

"La Côte d’ivoire est la pierre d’achoppement indispensable de la zone franc en Afrique de l’Ouest. C’est la raison pour laquelle il vaut toujours mieux avoir à sa tête quelqu’un qui ne remettra rien en cause. (…) La Côte d’ivoire avait les moyens de quitter cette dépendance de la zone franc, même seule, et je m’apprêtais à le faire, c’est pourquoi on a voulu m’empêcher de poursuivre ma route. Un président du FMI (…), je comprends que c’était préférable à Laurent Koudou Gbagbo."

  • Les élections et la CPI

"Ma stratégie a réussi, j’ai gagné les élections (…). Alassane Ouattara n’est jamais arrivé deuxième, et n’était donc pas qualifié pour le second tour. C’est Bédié qui était deuxième. Bédié, c’est Ésaü : il a vendu son droit d’aînesse contre un plat de lentilles."

Bédié, c’est Ésaü : il a vendu son droit d’aînesse contre un plat de lentilles.

"J’ai toujours joué le jeu des élections (…). Et finalement, c’est ça que l’on me reproche : être le porte-parole du peuple. (..) Combien sont-ils les dirigeants africains qui représentent le peuple ? Ils se comptent sur les doigts d’une main. Pourquoi n’ai-je pas été élu avec 80% (…) ? C’est apparemment plus crédible en Afrique (…) ! Au moment où il avait obtenu un de ses scores soviétiques, en 2003, (…) Blaise me menaçait déjà de la CPI. (…) Il est vrai qu’il exprimait les vœux secrets de ses maîtres français."

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"À Korhogo, (…) on était, mon médecin et moi, dans une toute petite maison, une baraque de trois pièces(…). Je n’avais pas l’autorisation de mettre le nez dehors. (…) Une femme, que je ne connaissais pas, venait nous porter les repas, (…) calculés pour nous affaiblir. Si j’ai pensé être empoisonné, oui, ça m’est arrivé. (..) Je tournais en rond (…). Ils m’auraient tué à petit feu."

Si j’ai pensé être empoisonné, oui, ça m’est arrivé.

"Mes avocats ont su retourner complétement la situation. (…) Désormais, tout le monde sait que les éléments présentés par le procureur (…) ne résistent pas à l’analyse. (..) Pourquoi ne s’intéresse-t-il pas aux élections ? Car après tout, c’est simple : si je les ai perdues, on peut discuter. Mais si je les ai gagnées, alors tout s’écroule. (..) Pourquoi Ouattara et ses soutiens français n’avaient-ils qu’une crainte pendant la crise, que l’on parvienne  à un accord qui prévoie le recomptage des votes (…) ?"

 >> Pour la vérité et la justice, de Laurent Gbagbo et François Mattei, aux éditions du Moment (19,95€, 320 p), en vente en ligne ici.

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Par Mathieu OLIVIER

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