Agriculture : un blé dur super résistant à la chaleur mis au point au Maroc
Une variété de blé dur qui résiste à des températures de plus de 40°C a été mise au point par un centre de recherche de Rabat et testée dans le bassin du fleuve Sénégal. Implantée à grande échelle, elle pourrait permettre d’atténuer la dépendance alimentaire de la région.
À force d’entendre parler d’ « idée folle », le Dr Filippo Bassi et son équipe en ont fait leur devise. Au bout de trois ans de recherches, les scientifiques de l’International Center for Agricultural Research in Dry Areas (Icarda) ont réussi à mettre au point des variétés de blé dur (non OGM) qui survivent aux très hautes températures, entre 35 et 40°C.
Dans le bassin du fleuve Sénégal où elles sont testées, les cultures prennent. « C’est une région normalement trop chaude pour le blé, explique le Dr Filippo Bassi. De ce fait, après les huit mois de culture du riz, les terres restent inutilisées pendant quatre mois. Cette nouvelle variété, qui demande 92 jours du semis à la récolte, va pouvoir pousser dans l’intervalle. » Le chercheur estime que 620 000 tonnes de récoltes, soit 180 millions d’euros de revenus supplémentaires pourraient ainsi être dégagés par les petits agriculteurs de la région.
Avec une telle coopération Sud-Sud avec l’Afrique du Nord, l’échange commercial pourrait s’élever à 500 millions de dirhams par an
Développé au sein de l’Icarda, un centre installé à Rabat depuis 2014, le projet financé par le Conseil suédois de la recherche scientifique rassemble d’autres institutions, comme les centres de recherches agricoles nationaux de trois pays africains : l’Inra du Maroc, le CNRada de Mauritanie et le Sénégalais Isra, ainsi que l’université marocaine Mohammed V de Rabat et l’université suédoise SLU.
Coopération Sud-Sud
Le potentiel est énorme, fait valoir l’équipe : « Près de deux millions de familles de petits agriculteurs pourraient être concernées », souligne Filippo Bassi. Celui-ci envisage même l’émergence d’un nouveau circuit économique Sud-Sud : « Le blé dur cultivé dans le bassin du fleuve Sénégal serait importé au Maroc, puis transformé en semoule et réimporté au Sénégal, Guinée etc. ». Avec une telle coopération Sud-Sud avec l’Afrique du Nord, l’échange commercial pourrait s’élever à 500 millions de dirhams par an.
Hafsa Kabbaj, 28 ans, Marocaine en fin de doctorat, se réjouit de l’émulation au sein de l’équipe. « En comparant les comportements dans les régions du fleuve Sénégal et au Maroc, nous avons pu identifier les gènes qui sont tolérants à cette forte chaleur. » Pour l’instant, 10 000 lignées ont été plantées et ont abouti à la sélection de trois variétés « qui se comportent très bien ».
Un potentiel pour l’ensemble de l’Afrique et même au-delà
Dans les quatre pays du bassin du fleuve Sénégal concernés par l’exploitation future de cette variété, les importations de blé hors pâtes représentent 100 millions d’euros par an, auxquelles il faut ajouter 50 millions d’euros par an pour les pâtes, indique Filippo Bassi.
Prix pour l’innovation en matière de sécurité alimentaire
Michael Baum, responsable d’un programme à l’Icarda pour l’amélioration des cultures, se réjouit de cette découverte et de ses perspectives pour la sécurité alimentaire : « Dix millions d’hectares de blé sont cultivés en Afrique et produisent environ 23 millions de tonnes par an. Et l’Afrique importe 40 autres millions de tonnes chaque année ! La demande est bien plus importante que la production actuelle, et avec le scénario du changement climatique cela va encore empirer. »
Le projet n’est pas terminé, poursuit-il : « Dix générations sont nécessaires pour la mise sur le marché d’une variété. Aujourd’hui, ce matériel a besoin de s’améliorer encore et d’être promu pour être accessible aux fermiers. »
La découverte a été récompensée en 2017 par le prix pour l’innovation en matière de sécurité alimentaire décerné par Olam, le géant agro-alimentaire singapourien. « C’est surtout le secteur public qui intervient en matière de blé, mais des industriels privés peuvent être vraiment intéressés, notamment au Maroc, au Sénégal ou en Mauritanie, commente Michael Baum. Ces variétés résistantes à la chaleur représentent un potentiel pour l’ensemble de l’Afrique et même au-delà. »
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